«La Tunisie est un paradoxe économique». Ce constat résume en quelques mots le diagnostic sans appel émis par la Banque mondiale dans un nouveau rapport intitulé «La Révolution inachevée, créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens», officiellement présenté mercredi 17 septembre 2014, lors d’une rencontre organisée conjointement avec l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE).
Ce rapport constitue, selon un communiqué, «la première étude complète de l’économie tunisienne réalisée par la Banque mondiale depuis la révolution de 2011». C’est un diagnostic à la fois quantitatif et qualitatif de la Tunisie des quinze dernières années.
Le paradoxe réside, selon les auteurs du rapport, Antonio Nucifora et Bob Rijkers, économistes à la Banque mondiale, dans le fait que la Tunisie réunit «toutes les conditions pour devenir un «Tigre de la Méditerranée».
Des atouts, le pays en a: «une main-d’œuvre qualifiée avec un nombre relativement élevé de diplômés qui font leurs études à l’étranger», «une bonne administration publique», «de bonnes infrastructures routières», «un bon nombre de ports et aéroports», un «bon raccordement à l’électricité», l’«accès à l’eau potable et télécommunications», un accès «privilégié» au marché européen, etc.
Mais malgré ces atouts, «ce potentiel économique semble ne jamais se matérialiser». Car les politiques qui ont réussi dans le passé sont aujourd’hui dans l’impasse. Par conséquent, «l’économie est restée stationnaire avec de faibles performances et incapable de décoller». Avec pour résultat un taux de chômage élevé –supérieur à 13% depuis le début des années 90.
Les facteurs de la paralysie…
Cette paralysie économique, le rapport l’impute à trois facteurs essentiellement: les obstacles à la concurrence, l’excès de bureaucratie, et des politiques économiques «nombreuses, pour la plupart bien intentionnées mais malavisées».
Déficit d’ouverture, d’abord. Economiquement, la Tunisie n’est qu’à moitié ouverte, plus de 50% de l’économie reste fermé tant aux investisseurs locaux qu’étrangers. Très critique –car, selon le rapport, l’absence de concurrence coûte à l’économie plus de 2 milliards de dollars par an, «soit près de 5% de la richesse du pays»-, pointe du doigt des «entreprises privilégiées autorisées à opérer dans des secteurs protégés», tant dans le secteur public que privé.
Dans le secteur public, ces entreprises –représentant 13% du PIB et 4% de l’emploi total- qui bénéficient de surcroît de l’appui financier de l’Etat (3% du budget en 2013) sont en fait protégées contre la concurrence d’entreprises privées «plus efficaces» qui sont ainsi empêchées «de se développer et de rivaliser» avec elles.
Dans le secteur privé, le déficit en matière de concurrence profite à «quelques entreprises privées, pour la plupart liées à la famille et aux amis de Ben Ali» et opérant dans des secteurs «lucratifs». Ce qui veut dire, selon les auteurs du rapport, que «près de quatre ans après la révolution, le système de politiques économiques et de réglementation qui sert d’écran de fumée pour la recherche de rente reste intact».
Lourdeurs réglementaires et bureaucratiques, qui compromettent la compétitivité des entreprises, ensuite. Ces lourdeurs pénalisent les entreprises doublement. D’abord, qu’«absorbent 25% du temps des dirigeants et près de 13% du chiffre d’affaires». Ensuite, la réglementation «excessive» et l’«omniprésence de l’Etat» favorisent des pratiques illégales comme «la corruption (dont le coût est estimé à 2% du PIB annuel), le copinage, l’évasion fiscale et douanière, etc.».
Enfin, les politiques économiques «mal avisées». Le rapport de la Banque mondiale critique d’abord le Code du travail qui «ne favorise pas l’investissement dans les activités à forte intensité de main-d’œuvre et contribue paradoxalement à l’exploitation des travailleurs et à la précarité de l’emploi», et, à l’opposé –en raison de la «dichotomie entre le contrat rigide à durée indéterminée (CDI) et le contrat précaire à durée déterminée (CDD)- «favorise l’investissement dans les activités qui peuvent recourir facilement au CDD».
Le rapport épingle ensuite le secteur financier qui «n’est pas très performant». Les experts de la Banque mondiale n’en veulent pour preuve que «le niveau global de prêts consentis (…) au secteur privé (et qui) reste en deçà du potentiel d’environ 10% du PIB». «La qualité des projets financés est également décevante, comme en témoigne le taux élevé de projets incapables de financer le remboursement des prêts ayant servi à leur mise en place», et les «défaillances notables en matière de gouvernance».
Médiocrité des entreprises publiques…
Au sein de ce système, les grandes banques publiques, elles présentent le double défaut d’être «protégées de la concurrence», et de recevoir «sans cesse des subventions qui leur permettent de continuer à être médiocres et à prêter aux entrepreneurs bien introduits au lieu de sélectionner les projets les plus performants».
Enfin, la politique d’incitation aux investissements –qui «coûtent cher» (2,2% du PIB en 2009)- est «onéreuse et n’a contribué ni à la création d’emplois ni à la réduction des disparités régionales».