évrier 2005 à Londres (Photo : Odd Andersen) |
[17/09/2014 11:58:06] Moscou (AFP) L’inculpation pour blanchiment du milliardaire russe Evgueni Evtouchenkov, président du conseil d’administration de la holding AFK Sistema, a provoqué mercredi en Russie les craintes d’un procès “Ioukos-bis”, des analystes dénonçant une nouvelle chasse contre certains puissants oligarques.
Le comité d’enquête russe a créé la surprise mardi, en annonçant tard le soir que M. Evtouchenkov, le 15e homme le plus riche de Russie dont la fortune est estimée à 9 milliards de dollars par le magazine Forbes, était inculpé de blanchiment d’argent et assigné à résidence.
Les enquêteurs “ont suffisamment de raisons de croire que M. Evtouchenkov est impliqué dans une affaire de blanchiment”, a indiqué le comité d’enquête, des accusations aussitôt qualifiées de “sans fondement” par la holding.
Au coeur de l’enquête criminelle visant M. Evtouchenkov, 65 ans, des malversations survenues selon les enquêteurs lors de la privatisation au début des années 2000 du groupe pétrolier Bachneft, l’un des joyaux d’AFK Sistema.
“Toute cela ressemble à un +Ioukos-bis+”, estime Alexandre Chokhine, le président de l’Union russe des industriels et des entrepreneurs, cité par le quotidien économique Vedomosti.
“Il est clair que quelqu’un veut reprendre Bachneft à Vladimir Evtouchenkov, et ce quelqu’un est proche du Kremlin”, lui fait écho Anvar Amirov, l’analyste pour les conseillers en politiques publiques européennes (EPPA).
“Le schéma est le même qu’avec Ioukos”, qui était la plus grande compagnie pétrolière russe avant d’être démantelée à la suite de l’arrestation en 2003 de son patron Mikhaïl Khodorkovski pour “détournement et blanchiment d’argent”, a-t-il déclaré à l’AFP.
M. Khodorkovski, l’ex-homme le plus riche de Russie, a passé dix ans en détention à l’issue de deux procès qu’il a dénoncés comme politiquement motivés, avant d’être libéré en 2013.
– Vers un “Ioukos-Bis” ? –
à Kiev (Photo : Sergei Supinsky) |
Dans une interview publiée mercredi dans Vedomosti, Mikhaïl Khodorkovski a accusé Igor Setchine, le PDG du numéro un du pétrole russe Rosneft –qui avait absorbé Ioukos– d’être derrière les poursuites contre M. Evtouchenkov.
L’ancien oligarque affirme que toute l’affaire contre Vladimir Evtouchenkov est basée sur l'”avidité” de M. Setchine –considéré comme proche du Kremlin– qui souhaite selon lui s’approprier le groupe pétrolier Bachneft, contrôlé à 89% par AFK Sistema.
“M. Setchine voulait acheter Bachneft à AFK Sistema à un certain prix (…), mais M. Evtouchenkov a refusé de coopérer”, a commenté pour l’AFP l’analyste Stanislav Belkovski, de l’Institut de la stratégie nationale, en ajoutant que le milliardaire pourrait être libéré s’il acceptait un “compromis” avec Rosneft.
“Les compagnies pétrolières en Russie sont un business bien trop juteux pour ne pas provoquer l’intérêt des proches du gouvernement”, affirme l’économiste Sergueï Aleksachenko, de la Haute Ecole d’Economie de Moscou.
M. Evtouchenkov “suivra peut-être le chemin de Khodorkovski (…), et Bachneft suivra celui de Ioukos”, estime-t-il sur son blog.
Le porte-parole de Rosneft, Mikhaïl Leontiev, a qualifié ces accusations de “délire”.
Les titres d’AFK Sistema à la Bourse de Moscou ont baissé de plus de 20% mercredi, alors que ses titres à la Bourse de Londres avaient chuté de 35,70% à 09H45 GMT. Les agences russes estimaient que les pertes totales de la holding pour la seule journée de mercredi pourraient atteindre 5,5 milliards de dollars.
Pour sa part, le quotidien Kommersant dit craindre que cette “affaire Ioukos-bis” ne plombe encore plus le climat financier en Russie alors que le cours de la Bourse de Moscou chutait mercredi à -2,51% à 09H00 GMT.
La Russie, qui fait l’objet des lourdes sanctions de la part des Occidentaux qui l’accusent d’être impliquée dans le conflit en Ukraine, “avait déjà une image très mauvaise aux yeux d’investisseurs, et l’inculpation de M. Evtouchenkov va les repousser encore plus”, souligne M. Amirov.
Assigné à résidence dans sa maison de campagne à Joukovka, près de Moscou, Vladimir Evtouchenkov s’est vu imposer le port d’un bracelet électronique et n’a le droit de communiquer qu’avec les membres de sa famille, ses avocats et les enquêteurs.
Pour Mikhaïl Khodorkovski, la seule chose qui distingue cette affaire de celle de Ioukos, c’est la motivation.
Le procès Ioukos était le résultat d’un “conflit politique” entre un oligarque trop indépendant et le pouvoir, estime ce critique du Kremlin, alors qu’ici “un intérêt commercial est évident”.
“L’assignation à résidence d’un homme d’affaires de ce niveau est sans précédent”, a déclaré à l’AFP l’économiste russe Sergueï Gouriev, professeur à l’Ecole des Sciences Politiques à Paris.
“Les autorités russes ont fait beaucoup d’efforts pour expliquer que cela ne pouvait menacer que ceux agissant comme Khodorkovski (…). Mais maintenant les investisseurs ne comprennent plus du tout les règles du jeu”, a souligné M. Gouriev.