Le régime de Ben Ali est tombé depuis trois ans, mais le système économique n’a réellement pas changé. C’est en substance ce qu’on lit dans une monographie intitulée “la Révolution inachevée” qui se base sur un rapport élaboré par la Banque mondiale et présenté mercredi 17 septembre à Tunis.
Ce document résume les défis auxquels fait face l’économie tunisienne, mais également ses atouts et ses principales défaillances.
Il en ressort que “la Tunisie, qui bénéficie d’une main-d’œuvre qualifiée, d’une solide infrastructure et d’une situation géographique stratégie, stagne au-dessous de son potentiel de performance, et à ce jour, les Tunisiens ont très peu d’opportunités sur le plan économique. Ils continuent à subir quotidiennement un système dominé par des lourdeurs bureaucratiques qui découragent l’initiative économique”.
Trop d’autorisations administratives
En Tunisie, d’après les économistes de la Banque mondiale, et contrairement ce qu’on pourrait penser, l’initiative économique est très peu encouragée. Les investisseurs doivent obtenir une multitude d’autorisations administratives avant de pouvoir démarrer leurs projets, obtenir l’aide de l’Etat ou un financement.
Un examen rapide du cadre législatif démontre qu’une activité économique sur deux est sujette à autorisation préalable de l’Administration et/ou à des restrictions aux investissements étrangers.
Plusieurs secteurs -télécommunications, transports maritime et aérien, production du tabac, pisciculture, tourisme, publicité, santé, immobilier, services d’orientation agricole, commerce de distribution- offrent d’énormes opportunités d’emploi et de nouveaux projets sur l’ensemble du territoire. Cependant, la mainmise de l’Etat et les restrictions qu’il impose dans le Code d’incitation à l’investissement, le Code du commerce, la Loi sur la concurrence ou dans certaines législations sectorielles spécifiques réglementant en particulier les secteurs des services empêchent l’éclosion de nouvelles initiatives, et protègent les profits des entreprises existantes -souvent moins rentables économiquement- contre la pression concurrentielle.
Le prix des communications téléphoniques de la Tunisie vers les pays étrangers est dix fois plus élevé que les prix pratiqués dans les pays développés. Les communications coûteuses réduisent la capacité de la Tunisie d’attirer l’investissement dans le secteur de la manufacture mais aussi dans les services de marketing, financiers, de comptabilité et de conseils juridiques qui sont pourtant à même de créer un grand nombre d’emplois, en particulier pour les jeunes diplômés.
Le document cite un autre exemple frappant des conséquences néfastes du manque de concurrence: le transport aérien, dont le coût moyen est de 30% plus élevé que la norme. La classe moyenne et les entreprises principaux consommateurs de ces services sont ainsi largement touchées. Le tourisme se trouve également entravé.
Les experts estiment que “le monopole de l’Etat sur la production et/ou l’importance et la distribution de certaines denrées alimentaires, telles que l’huile d’olive, la viande et le sucre ne se justifie pas car ces activités seraient bien plus rentables sans l’intervention de l’Etat. La libération de ces secteurs profiterait aussi au consommateur qui pourraient bénéficier de prix moins élevés et peut-être de produits de meilleure qualité. Ces politiques qui érigent des obstacles à la concurrence empêchent la création d’emplois et le développement de nouveaux marchés”.
Perte de 13% du CA…
Un chef d’entreprise consacre le quart de son temps de travail à répondre aux formalités administratives et à préparer les dossiers. Il subit en moyenne une perte de 13% de son chiffre d’affaires à cause de la lourdeur des procédures administratives. Ces pertes démontrent que le fardeau de la bureaucratie pèse lourdement sur le climat des affaires et réduit les capacités des entreprises à investir et à créer la richesse et l’emploi.
En outre, les lois régissant la propriété et les transactions rendent difficile l’acquisition de terrains ou de biens immobiliers, en particulier pour les classes de populations pauvres.
220 entreprises de la famille Ben Ali…
La BM rappelle qu’avant 2011, près de 220 entreprises de la famille Ben Ali accaparaient 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé, alors qu’elles n’employaient que 1% de la main-d’œuvre du pays.
Toutefois, “malgré la fin de l’ancien régime, le faisceau de règlements et de pratiques qui permirent la corruption et l’exploitation de situations de rente persiste et coûte cher à l’économie tunisienne en termes de création d’emplois et d’investissements, et continue à alimenter les tensions sociales et un sentiment d’injustice”, notent les experts.
Trois ans après la Révolution, le système de politiques et de réglementations économiques qui ont agi comme un écran permettant d’obtenir des rentes n’a pas encore été modifié.
Record en matière de Propagation de la corruption
Les économistes de la BM évoquent “une enquête effectuée auprès des entreprises montrant que la Tunisie détient un des records les plus élevés au monde en matière de propagation de la corruption. Plus d’une entreprise sur quatre affirme qu’elle a payé d’une manière informelle et illégale des services administratifs pour accélérer le traitement de ses dossiers”.
Une récente étude de la Banque mondiale révèle que le phénomène du commerce illicite avec la Libye et l’Algérie ne cesse de se propager, et même de prospérer, particulièrement depuis la Révolution, pour atteindre les 2 milliards de dinars, soit 7% du volume des importations.
Ces transactions commerciales frauduleuses et illicites occasionnent des pertes au niveau des revenus de l’Etat et se montent à près du quart des recettes douanières. Ces pratiques sapent la rémunération des entreprises performantes qui respectent les lois, mais ne reçoivent pas ensuite les fruits de leurs efforts.
Une réforme de la douane et de l’administration fiscale s’avère nécessaire pour limiter le pouvoir discrétionnaire de l’Administration et sa libre appréciation, préconisent le économistes.
Autre constat qui ressort de ce document, “le secteur financier national coûte très cher à la communauté au niveau des pertes cumulées enregistrées par les banques publiques”.
Ces banques ont accumulé des pertes de plus de 3.000 milliards de millimes (soit près de 75% du budget public de l’équipement en 2013). Ce coût sera payé par le gouvernement sur des fonds publics qui ne pourront donc plus être utilisés pour des investissements publics dans les infrastructures ou pour améliorer les services d’éducation et de santé, notamment dans les régions intérieures.
En occultant les véritables problèmes du tourisme tunisien, le secteur bancaire public a joué un rôle préjudiciable au développement du tourisme par l’octroi de crédit à des promoteurs de projets touristiques de très productivité. Actuellement le secteur du tourisme détient à lui seul le quart des crédits impayés du secteur bancaire.
Des incitations à l’investissement onéreuses
Pour la BM, les incitations à l’investissement sont onéreuses et peu efficientes. La Tunisie dépense de grosses sommes pour encourager les entreprises à investir et à créer des emplois. Les avantages octroyés aux entreprises pour faciliter l’implantation de nouveaux projets s’élèvent à plus de 2% de la richesse créée chaque année.
Le coût de chaque emploi créé grâce à ces avantages est estimé à 30 000 dinars chaque année, ce qui est très élevé. Pourtant, quatre projets sur cinq auraient été réalisés même en l’absence de ces avantages. Cette situations se traduit aussi par un manque à gagner énorme en recettes fiscales pour l’Etat et par une dilapidation des ressources.
Plus de huit projets sur dix ayant profité des avantages du Code d’incitation aux investissements ont été créés dans les régions côtières. Ces incitations se sont révélées inopérantes et peu efficaces pour le développement des régions intérieures et pour la réduction des inégalités régionales.