Fauchés, démoralisés, démotivés et épuisés par quatre périodes de grande consommation successives (ramadhan, vacances, Aïd El Fitr, rentrée scolaire), les Tunisiens moyens, qui ne se soucient, ces jours-ci, que de la manière dont ils vont se débrouiller pour acheter le mouton de l’Aïd El kebir, se trouvent par nécessité économique coincés, après le travail, chez eux devant leur petit écran.
Seulement voilà, au lieu de décompresser et d’espérer une issue à leur peine, ils se voient, hélas, pris en otage par toutes les chaînes qui, dans le cadre de la campagne électorale, ne leur offrent qu’un seul produit: des cogitations interminables non sur des programmes d’avenir crédibles mais sur des profils, humeurs et intentions de postulants à la présidence déconnectés complètement du pays réel.
A l’origine de cette dérive, les directeurs, propriétaires et animateurs véreux des chaînes publiques et privées. Encore une fois, les médias, par manque de professionnalisme, par cupidité ou tout simplement par inculture politique, sont dans une situation de hors-jeu, et ce pour deux raisons objectives.
Seules les législatives intéressent les Tunisiens
Premièrement, selon le calendrier électoral, le sujet de l’heure n’est pas l’élection présidentielle mais les législatives. Il y a là une transgression majeure des règles de jeu. Et c’est d’autant plus désolant que ce sont les médias qui faussent le jeu. Tout ce passe comme si ces médias avaient conclu une sorte d’entente pour donner la primauté au débat sur la présidentielle.
Une telle option ne sert que la Troïka, particulièrement, le parti majoritaire Ennahdha et bien évidemment ses acolytes, Ettakatol et le Congrès pour la République (CPR). Car, tout débat sur les législatives ne peut pas éviter de faire le bilan catastrophique de la Troïka dont les associés ont déstructuré, systématiquement, les constantes institutionnelles du pays et mené l’économie nationale au bord de la banqueroute.
Conséquence: ces débats sur la présidentielle peuvent être perçus comme «une diversion commanditée» pour éviter le procès de la Troïka et pour ne pas compromettre les chances de ses candidats aux législatives, les seules élections qui, par les problèmes de proximité qu’elles évoquent, intéressent en premier lieu les Tunisiens, partout où ils se trouvent.
Les chaînes de télévision tunisiennes, qui donnent à croire, jusque-là, qu’elles sont gérées par des commerçants clientélistes sont tombés dans le piège, et joué -délibérément et par méconnaissance- le jeu de Ghannouchi et de sa secte.
Mention spéciale pour la responsabilité des chaînes publiques, El Watanyia 1&2, dans cette dérive médiatique. Leur responsabilité est d’autant plus grande et plus grave qu’elle aurait dû impliquer, immédiatement, une intervention de la HAICA, laquelle, en tant qu’institution de régulation et garante de la couverture des échéances électorales, en leur temps, aurait dû intervenir pour mettre le holà et rappeler la direction de ces chaînes publiques à l’ordre.
Le débat sur la présidentielle ne sert que les contrerévolutionnaires
Deuxièmement, les médias tunisiens, en privilégiant le débat sur la présidentielle au détriment de celui sur les législatives, donnent l’impression qu’ils n’ont jamais lu la nouvelle Constitution de janvier 2014. Cette même Constitution qui consacre de manière claire le passage de la Tunisie de l’absolutisme du régime présidentiel à un système politique démocratique plus équilibré entre les trois pouvoirs: législatif, judiciaire et exécutif avec ces deux têtes (gouvernement + présidence) avec un avantage bien prononcé pour le pouvoir parlementaire lequel était une véritable marionnette au temps de Bourguiba, de Ben Ali et de la Troïka.
Ce consensus constitutionnel arraché à la faveur du soulèvement du 11 janvier 2011 et de la lutte des Tunisiens ne semble pas du goût de nos médias. Ces mêmes médias, qui auraient dû mettre à profit cette campagne électorale pour faire de la pédagogie et donner aux spectateurs le maximum d’éclairages sur les avantages politiques dont les Tunisiens peuvent tirer de cette avancée politique majeure, sont tombés dans le traquenard du sensationnel que les lobbies du clientélisme politique (candidats à la présidentielle) leur ont tendu.
Le risque est de voir les médias contribuer, consciemment ou inconsciemment, à la confection d’une perception confuse des futurs détenteurs du pouvoir et surtout au retour de la personnalisation du pouvoir d’autant plus que l’écrasante majorité des candidats à la prochaine présidentielle sont des fils spirituels du champion de la mégalomanie, de l’exclusion, du clientélisme et du régionalisme, le défunt Bourguiba.
D’où l’enjeu d’être vigilants, voire extrêmement vigilants, car ceux qui craignent la nouvelle Constitution et les nouvelles institutions indépendantes de la République ont peur pour leur situation de rente et sont ceux-là mêmes qui sont à l’origine de la précarité dans laquelle nous vivons actuellement. Ne l’oublions surtout pas.