Depuis le 8 septembre et l’ouverture du dépôt des candidatures et jusqu’au 29 septembre, date de la publication par l’ISIE de la liste des candidats, on vit au rythme de l’élection présidentielle. Oubliées les élections législatives autrement plus importantes. Décisives mêmes puisqu’elles nous donneront le Parlement dont sera issu le prochain gouvernement. Le chef de celui-ci, dont la candidature est présentée par le parti arrivé en tête, sera le véritable chef de l’exécutif.
Quant au président de la République, son rôle sera plutôt symbolique. Il sera en effet le «symbole de l’unité nationale», le «garant de la continuité de l’Etat», et ses attributions se limitent à la politique étrangère et à la défense nationale, puisqu’il sera «le commandant suprême des forces armées». Ce n’est pas rien. Mais ce sera rien à voir avec le régime présidentiel sinon «présidentialiste» que nous avons connu du 25 juillet 1957 au 14 janvier 2011 où le président de la République détenait tous les pouvoirs.
Ce chevauchement voulu par Ennahdha, le parti dominant à l’ANC (actuellement) -qui a tenu à ce que les législatives précèdent la présidentielle-, n’est pas innocent. Car la séquence de la présentation des candidatures à la présidentielle où on a vu des personnalités de bords multiples et variés défiler pour déposer leurs dossiers auprès de l’ISIE a provoqué une véritable diversion auprès de l’électorat. Pendant presqu’un mois on n’aura parlé que de la présidentielle. Le défilé d’hommes et de femmes prétendant au poste suprême, même terminé, va laisser des traces.
Lorsque la campagne électorale législative commencera le 4 octobre prochain, qui coïncidera vraisemblablement avec l’Aïd Al-Idha, les Tunisiens, peu habitués aux programmes électoraux dont on va les gaver, vont chercher surtout des têtes. Ils ne vont pas retrouver celles qu’ils ont vu défiler au siège de l’ISIE. Mais d’autres, les nombreuses têtes de listes de partis ou indépendantes aux législatives du 26 octobre. De quoi les désarçonner sinon les déstabiliser.
Désormais, ils doivent s’habituer, en effet, non à des visages mais à des «logos» de partis ou de listes indépendants, allant du palmier rouge de Nidaa Tounes à la colombe bleue en plein vol d’Ennahdha, en passant par l’arbre rouge touffu Joumhouri, au gros poisson d’Ettakatol, aux «lunettes» (eh oui!) du CpR et autre Khomsa d’Afak et phare de Jebha Chaabia, sans parler de l’utilisation du drapeau national rouge et blanc et de la flamme qui va avec, sous plusieurs formes par les listes destouriennes…
Les Tunisiens peu habitués à ce florilège de symboles ne vont plus s’y retrouver, ce qui fait l’affaire des grands partis dont les logos, même stylisés, sont faciles à reconnaître et à retenir.
Les candidats à la présidentielle qui ne manqueront pas de s’engager en faveur des listes de leurs partis aux législatives, on ne les verra comme candidats à la fonction suprême qu’au lendemain du scrutin législatif puisque la campagne électorale présidentielle débutera le 1er novembre au lendemain de la proclamation (le 30 octobre) des résultats préliminaires des législatives.
Donc on va se retrouver pour les législatives avec un grand écran de fumée de la présidentielle qui va les polluer inexorablement. Le bon sens aurait imposé que les deux scrutins aient lieu à des dates séparées par un délai raisonnable de six mois au moins pour que les électeurs puissent voir plus clair car nous serons face à deux modes de scrutin complètement différents. Celui des législatives est un scrutin de listes à la proportionnelle avec les plus grands restes, ce qui met en vedette les partis politiques ou pour les indépendants ceux qui en tiennent place. Alors que pour la présidentielle on sera devant un scrutin uninominal à deux tours, le premier étant pour opter pour la personne de son choix, le second étant pour éliminer celle avec laquelle on ne sent pas des atomes crochus. Donc forcément deux manières de voir et deux pédagogies à mettre en œuvre.
Malheureusement, ni l’ISIE -dont c’est pourtant le rôle- ni les médias qui sont appelés à expliquer le processus des élections n’auront ni le temps ni la latitude de faire œuvre de pédagogie. Ce qui ne manquera pas d’avoir des effets néfastes sur le processus électoral et donc sur la transition démocratique dans son ensemble.