énérale des Finances publiques le 25 septembre 2014 à Paris (Photo : Eric Piermont) |
[26/09/2014 08:57:13] Paris (AFP) Un coup de stylo rouge, et l’impôt sur la fortune d’une riche veuve passe de 1,7 à 3,3 millions d’euros: c’est le quotidien de l’équipe du fisc français chargée de régulariser les fraudeurs, et une manne bienvenue en ces temps de disette budgétaire.
“Ah oui, quand même…”, siffle le ministre des Finances Michel Sapin en se penchant sur le dossier, rendu anonyme pour les journalistes. Y figurent la déclaration d’impôt, corrigée au stylo rouge par l’avocat de la famille, une déclaration sur l’honneur de la fraudeuse repentie, un chèque et les documents fournis par la banque suisse où le défunt mari avait ouvert un compte non déclaré.
Des dossiers de ce genre, il en arrive une cinquantaine chaque jour au Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), dans un immeuble administratif sans apprêt dans le nord-est de Paris, que le ministre a visité jeudi.
“Je vous assure que l’adresse est très connue”, plaisante Maïté Gabet, directrice nationale des vérifications des situations fiscales. Elle chapeaute ce service créé après la publication en juin 2013 d’une circulaire encourageant les fraudeurs ayant caché leur argent à l’étranger à se faire connaître.
Environ 31.000 demandes de régularisation ont été enregistrées au 19 septembre 2014, dont 12.000 dossiers prêts à traiter, par une équipe d’inspecteurs volontaires, passée de 40 à 80 agents, en attendant 100.
Ces 12.000 dossiers, ce sont 10,8 milliards d’avoirs non déclarés, 900.000 par cas en moyenne, et “ça continue à rentrer”, assure Mme Gabet, qui reconnaît: “Nous n’avions pas idée d’une montée en puissance pareille”.
Pour l’année, le gouvernement espère des recettes de “plus de 1,8 milliard d’euros, on va sans doute frôler les deux milliards sur l’année, et on peut imaginer qu’on sera dans le même ordre de grandeur l’année prochaine”, précise M. Sapin.
Une manne précieuse pour le ministre, occupé à ficeler le budget 2015 avec des recettes en baisse, pour cause de marasme économique.
Les courriers déposés, dont le plus lourd à ce jour pesait 23 kilogrammes de paperasse, sont une leçon d’histoire et de géographie de l’évasion fiscale à la française.
– Histoire et géographie de la fraude –
A 80%, les fonds cachés l’étaient en Suisse, “ensuite on a le Luxembourg, un peu de Belgique, puis c’est le tour du monde”, dit Mme Gabet.
“On a aussi Singapour, des fonds ont quitté la Suisse pour ce pays”, souligne Béatrice Brethomé, qui dirige le service de régularisation au quotidien.
“Oui, ça on connaît”, lance M. Sapin sous les rires un peu gênés des fonctionnaires présents, faisant référence au montage élaboré par l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac. C’est de l’affaire d’évasion fiscale le mettant en cause qu’est née la cellule de régularisation.
La géographie, donc, mais aussi l’histoire… Les dossiers, avec parfois des pièces d’avant 1940, racontent les fuites de capitaux à chaque secousse historique: la guerre, la décolonisation ou des événements politiques comme Mai 1968 ou la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de mai 1981.
“Ici il n’y a pas de jugement moral, pas de brutalité, on applique la loi”, souligne Mme Gabet.
La circulaire, si elle prévoit des pénalités un peu adoucies pour les repentis, n’est pas une amnistie: règlement intégral des sommes dues, pas d’anonymat et pas de tractation au cas par cas.
Mais parfois “un peu de thérapie” pour des familles aux histoires mouvementées, admet Mme Gabet.
Elle évoque une famille qui avait créé des sociétés à l’étranger pour assurer que la fortune resterait entre les mains des seuls héritiers mâles, et conclut: “Mieux vaut avoir réglé ses problèmes avant de venir”, que de risquer d’être dénoncé par un frère ou une soeur rancuniers.
Derrière ces histoires singulières, celles de riches familles ou parfois de modestes frontaliers – les dossiers pèsent entre 73 euros et 140 millions d’euros d’avoirs non déclarés – toute une dynamique internationale est à l’oeuvre, celle de la lente agonie du secret bancaire.
L’échange automatique de données fiscales doit devenir la norme, à partir de 2017 pour les pays développés les plus diligents, et les fraudeurs seront exposés en pleine lumière.
“Ce n’est pas la contrainte qui amène à régulariser, c’est la crainte”, conclut M. Sapin.