A quoi servent les recensements généraux de la population si les planificateurs ne tiennent pas compte de leurs résultats et ne tirent pas les enseignements, en temps requis, aux fins de corriger les trajectoires et d’adapter les stratégies de développement aux besoins des communautés?
La question mérite d’être, sérieusement, posée en raison de la persistance des mêmes problématiques démographiques dans les mêmes régions économiques. En l’espace d’une dizaine d’années -période qui sépare un recensement d’un autre et au cours de laquelle deux plans quinquennaux sont en principe prévus-, les décideurs centraux du pays, apparemment génétiquement incompétents et instinctivement régionalistes, ne se sont même pas donnés la peine d’engager une réflexion crédible sur ces problématiques.
A titre indicatif, le recensement de 2004 avait révélé que le nord-ouest (Béja, Jendouba, Le Kef et Siliana) était la seule région économique qui avait connu une croissance démographique négative (-0,1 annuellement) avec une pointe pour la région de Siliana, à l’époque. Dix ans après, le recensement de 2014 relève une aggravation de la situation avec non seulement le maintien de la croissance négative mais son élargissement aux quatre gouvernorats avec une nuance pour la région de Béja où le nombre d’habitants a stagné.
En fait, cette croissance démographique négative n’est pas un phénomène nouveau. Elle a été enclenchée, par l’effet de l’émigration interne, depuis bien longtemps. A preuve, en 1975, la population de cette région économique représentait 19% de la population totale tunisienne. Aujourd’hui, elle n’en représente que 10%.
Conséquence: déserté par ses cadres et par sa jeunesse, le nord-ouest est devenu, avec le temps, une zone répulsive où seuls le terrorisme, le malvivre et la précarité y prévalent, voire une pépinière d’aide-ménagères et d’aides-maçons.
Le nord-ouest si riche et si pauvre
Pourtant, historiquement cette région de la Tunisie s’était forgée une réputation de zone prospère. A l’époque de l’occupation romaine, elle était dénommée «le grenier de Rome». Au temps de la colonisation, les Français y ont investi lourdement (chemins de fer, barrages…). Jusqu’à l’indépendance du pays, le nord-ouest était considéré comme le territoire utile de la Tunisie. Mais depuis, il est devenu «l’arrière-pays».
Même de nos jours, le nord-ouest de la Tunisie continue à engranger un potentiel économique énorme. Sa problématique consiste en le paradoxe régional qu’il pose, celui d’une région très riche avec des habitants extrêmement pauvres. A l’origine de ce paradoxe, un cumul de blocages géographiques (enclavement), historiques (expropriations…), économiques (non diversification de la base économique…), politiques (régionalisme…), humains (pauvreté extrême…), démographiques (croissance négative…).
Pour les analystes, militants de développement, sociologues, économistes, démographes, la réponse à cette problématique multidimensionnelle ne peut être qu’une solution multiforme avec deux priorités urgentes: le désenclavement de la population et sa sédentarisation à la faveur d’une politique volontariste devant encourager les habitants à s’approprier la terre et à disposer d’équipements collectifs de proximité efficaces -établissements scolaires bien équipés et bien maintenus, création de campus universitaires de dimension internationale (le campus Jenene Medjerda avec ses 10.000 étudiants à titre indicatif)-, la mise en valeur des carrières, les matériaux de construction, l’écotourisme, la pêche, le développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire….
L’essentiel ici est de valoriser le potentiel existant et de créer de la valeur, seule garante de la création de sources de revenus et d’emplois de qualité.
Le dernier rapport de la Banque mondiale «la révolution inachevée» a longuement traité cette problématique et des solutions à y apporter.
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