En dépit de certains progrès accomplis par la Tunisie dans le domaine de la protection de l’environnement, notamment au début des années 1990, plusieurs problèmes demeurent posés et dont l’ampleur s’est accentué à partir de la fin de 2011. Ceux-ci commencent à entraîner de sérieux impacts sur la santé publique et sur l’économie du pays. Leur quantification monétaire doit être faite pour une meilleure connaissance des risques qui y sont liés.
La question des impacts de la détérioration de l’environnement revêt une dimension large en dépassant, à titre indicatif, la problématique de la gestion des déchets pour couvrir d’autres contraintes à l’instar de l’atteinte de la qualité des ressources hydriques, de la dégradation des sols, des dommages à la qualité de l’air et des problèmes concernant la préservation de la biodiversité. A ce jour, rares sont les études qui ont été élaborées en Tunisie pour une estimation économique des coûts des problèmes environnementaux.
Ce genre d’études permettra aux autorités environnementales, évidemment en temps de stabilité politique et d’une gouvernance conforme aux normes en la matière, d’attirer l’attention du gouvernement sur les coûts sociaux et l’impact budgétaire résultant de la dégradation de l’environnement. Les résultats de pareilles études formeront des arguments solides au profit de l’action environnementale.
La décadence inédite de la situation environnementale actuellement dans notre pays requiert une conscience quant à la sévérité des risques engendrés afin d’identifier les secteurs qui nécessitent une intervention prioritaire, en définissant trois objectifs: l’estimation des dégâts -en utilisant les données statistiques les plus récentes-, la production d’un cadre analytique -aidant à mettre à jour les évaluations à l’avenir- et la formation d’une assise pour le développement d’un plan d’action pour divers ministères et institutions.
Le coût des dégâts environnementaux en Tunisie
Les problèmes environnementaux récents en Tunisie ont eu des impacts négatifs directs non seulement sur l’activité et l’efficacité économiques, mais également sur la santé et la qualité de vie de la population.
La dégradation des sols, des forêts et de la biodiversité a affecté largement et surtout la productivité agricole, la durabilité des ressources naturelles et les composantes des écosystèmes.
La pollution d’origine biologique et chimique des ressources essentiellement en eau sont actuellement les causes principales des maladies hydriques et de dégradations d’écosystèmes aquatiques avec des conséquences sur les ressources halieutiques, le développement du secteur touristique, etc.
La pollution de l’air a, à son tour, des impacts importants sur la santé publique (maladies respiratoires et cardio-vasculaires) dus notamment à l’exposition aux poussières et autres polluants provenant d’activités industrielles diverses et du transport.
La gestion inadéquate des déchets, constatée à partir de 2011 de façon flagrante, a, elle aussi, des conséquences négatives sur le cadre de vie, les écosystèmes et, de manière indirecte, sur la santé en augmentant, particulièrement, la fréquence des pathologies dermatologiques. Cet état de fait sera quantifié de manière à pouvoir estimer, d’une part, les coûts des dommages et, d’autre part, les coûts de remplacement.
Les coûts des dommages fournissent un ordre de grandeur des bénéfices potentiels qui découleraient d’une gestion plus saine de l’environnement.
Les coûts de remplacement, de leur côté, procurent une estimation des investissements nécessaires pour maintenir ou restaurer un environnement d’une qualité acceptable pour notre société.
Variation du coût de dégradation de l’environnement en Tunisie et au Moyen-Orient
Source: Conférence scientifique de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la dégradation générale de l’environnement – Bonn, 10 avril 2013.
Quelques études menées en Tunisie et dans certains pays du Moyen-Orient, notamment par la Banque mondiale et d’organisations non gouvernementales telles que The Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), traitant le coût de la dégradation de l’environnement ont montré que celui-ci correspondait pour notre pays à 2,7% du produit intérieur brut (PIB), en 2012 et il serait ainsi de l’ordre de 1,5 milliards de dinars, soit l’équivalent pour la même année de la valeur ajoutée de l’industrie agroalimentaire, ou de la valeur ajoutée du secteur extraction pétrole et gaz, ou encore l’équivalent de 20 jours d’exportation et 5,5 fois le budget du ministère chargé de l’Equipement, de l’Aménagement du territoire et du Développement durable.
Par ailleurs et d’après les séries statistiques s’étalant sur la période 1999-2012 d’une étude élaborée conjointement par la Banque mondiale et l’Observatoire tunisien de l’environnement et du développement durable, il a été estimé qu’en termes annuel moyen, le coût des dommages a concerné, par catégorie environnementale, l’eau pour 460 MDT (soit 0,71% du PIB), l’air à hauteur de 430 MDT (soit 0,68% du PIB).
L’évaluation des dégâts se rapportant aux sols et aux forêts était de 390 MDT ou 0,59% du PIB, et pour ce qui est du littoral et des déchets, les coûts s’élevaient respectivement à 195 MDT et 100 MDT, soit l’équivalent de 0,36% et 0,23% du PIB.
La situation est-elle irréversible?
Le coût des dommages représente la perte de bien-être à l’échelle nationale due à la dégradation de l’environnement. Il présente ainsi l’ordre de grandeur des bénéfices potentiels associés à une meilleure gestion de l’environnement. L’estimation des coûts de remplacement donne une indication des investissements nécessaires pour remédier partiellement à la dégradation de l’environnement.
Comme l’estimation des coûts de remplacement est limitée à certaines catégories environnementales, il est donc précaire de pouvoir établir une relation directe entre coûts de remplacement et bénéfices potentiels. L’analyse du cas de la dégradation de l’environnement général en Tunisie pose en particulier plusieurs problèmes, non pas en raison de l’absence d’un cadre institutionnel qui assure depuis des décennies la protection de l’environnement mais suite à l’émergence brusque de nombre de facteurs de risques qui ne cessent de s’aggraver au point que les spécialistes craignent l’atteinte d’un point de non retour.
Le contexte législatif a été concrétisé durant des décennies à travers la mise en œuvre de plusieurs codes et textes relatifs à la protection de certains éléments de l’environnement tels que le code forestier, le code des eaux, le code de l’urbanisme, et les lois portant création de l’Agence nationale de la protection de l’environnement (ANPE), l’Office national d’assainissement (ONAS), l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL), le Centre international des technologies de l’environnement de Tunis (CITET), l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), et enfin la Banque nationale de gènes (BNG).
Carte de la gestion des déchets solides en Tunisie
Source : Les indicateurs de l’environnement en Tunisie, Document de référence, Agence nationale de protection de l’environnement – Edition 2008.
La problématique actuelle en Tunisie est très complexe du fait des défaillances graves en ce qui concerne la gouvernance de la question de l’environnement au sens général du concept, particulièrement tout au long des quatre dernières années, d’une part, et du trend ascendant de la gravité et de l’occurrence des risques environnementaux, d’autre part.
L’analyse marginale permettant d’estimer les bénéfices (en termes de réduction de la dégradation de l’environnement) et les coûts de remplacement montre -d’après les études empiriques faites à l’échelle nationale grâce à l’appui d’organismes internationaux, essentiellement dans le cadre de la dynamisation de la politique environnementale tunisienne et sa cohérence avec la politique environnementale européenne-, que la valeur au risque calculé sur ce plan pour la couverture des dommages se chiffre au minimum en investissements à 2,2 milliards de dinars.
Ces investissements, d’après les estimations présentées, doivent être répartis en urgence au niveau de la collecte, du transfert et de traitement des déchets (ordures ménagères, déchets industriels et dangereux, phosphogypse, déchets d’emballages et déchets hospitaliers) pour 550 MDT, la réhabilitation de larges zones endommagées du littoral à hauteur de 480 MDT, la préservation de la qualité de l’eau potable et l’assainissement pour 360 MDT et la préservation du capital naturel principal en sols, forêts et biodiversité pour une enveloppe de 250 MDT.
Au niveau du cas de notre pays, les bénéfices marginaux d’une intervention environnementale additionnelle ne peuvent que diminuer au fur et à mesure que la situation se détériore à un rythme assez soutenu et presque non maîtrisable, et les interventions environnementales deviennent de plus en plus chères et difficilement réalisables en prenant en compte spécialement les difficultés budgétaires qui s’illustrent à travers un déficit pouvant frôler 7% à la fin de l’exercice en cours.
De ce fait, il est impératif d’investir dans les actions environnementales qui engendrent le plus de bénéfices par unité de coût. Ce processus doit continuer jusqu’au point où les bénéfices marginaux d’une intervention sont égaux aux coûts marginaux. L’investissement dans la protection de l’environnement, au-delà de ce point, aurait pour conséquence une perte de bien-être social.
Compte tenu des difficultés liées à l’évaluation monétaire de certains impacts, du manque de données fiables et systématiques, et des nombreuses hypothèses et simplifications auxquelles les estimations ont été soumises, il est important d’interpréter les résultats comme étant des ordres de grandeurs et non des données précises. Il est nécessaire que les analystes entament des études plus approfondies en considérant les probabilités d’occurrence des risques se rapportant au pourrissement certain au futur de la situation de l’environnement en Tunisie.
Les appréciations des rapports coûts/bénéfices de certains secteurs environnementaux permettent une meilleure sélection des interventions environnementales. Néanmoins, l’évaluation économique des dommages environnementaux est un instrument qui devrait permettre aux décideurs dans le domaine de l’environnement d’attirer l’attention des autorités sur les coûts sociaux et l’impact financier résultant de la dégradation de l’environnement.
Dans le cadre du partenariat stratégique entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), et particulièrement suite à l’entrée en application de la Politique européenne de voisinage (PEV) en 2004 ayant pour objectif fondamental le renforcement de la coopération politique, sécuritaire, économique, environnementale et culturelle entre l’Union européenne et ses nouveaux voisins immédiats ou proches, des instruments plus flexibles ont été conçus pour favoriser le développement durable et le rapprochement vers les normes et politiques européennes, en soutenant les priorités convenues dans les plans d’action.
La Tunisie est tenue, de ce fait, d’œuvrer en vertu d’accords souverains à la préservation, à la protection et à l’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi qu’à la protection de la santé des personnes et l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles.
La politique que notre pays s’est engagé à respecter dans le cadre des accords précités est fondée sur deux grands principes qui sont “le principe de précaution“ -lorsque l’incertitude scientifique ne permet pas une évaluation complète du risque, afin de garantir la sécurité des citoyens- et “le principe de pollueur-payeur“ -engageant la personne ou l’entité ayant occasionné des dommages à l’environnement paye pour remédier aux dommages qu’elle a causés.
L’UE encourage, d’un autre côté, les accords environnementaux des entreprises garantissant la mise en oeuvre de modes de production durables, afin d’améliorer leurs performances environnementales et le respect du principe de l’action préventive et celui de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement.
Malgré son adhésion aux Directives européennes et même internationales ainsi qu’à des accords d’association, la Tunisie s’est éloignée nettement en termes de conformité à ces engagements, spécialement en termes de préservation de l’environnement et des ressources naturelles, de la protection de la santé humaine, de l’amélioration de la qualité de vie, du développement de l’activité de recyclage et de valorisation des déchets et de création d’emplois verts.
Plusieurs recommandations sont faites actuellement par l’UE. Pour minimiser le coût de la dégradation de l’environnement, ils s’articulent en fait autour de l’élaboration d’un bilan social de la dégradation de l’environnement: coûts/bénéfices, la mise en place d’un système de comptabilité environnementale (comptabilité verte), l’application d’approches à un niveau régional et local (ex. golfe de Gabès), la prise en compte progressivement des coûts environnementaux urgents dans les investissements publics et privés, et enfin la révision de la tarification des ressources et la mise en œuvre d’une fiscalité écologique efficiente.