élève après une explosion dans la ville de Kobané, assiégée par les jihadistes, le 21 octobre 2014 (Photo : Bulent Kilic) |
[23/10/2014 10:34:00] Paris (AFP) Entre les vidéos de propagande, celles conçues pour être reprises par les médias et les images publiées sur les réseaux sociaux par ses combattants, le groupe Etat Islamique a mis en place une communication multiforme élaborée, au risque de laisser fuiter des informations stratégiques.
“Depuis le début, par rapport à ce qu’on pouvait voir sur la Syrie, on ressent que les jihadistes évoluent dans leur façon de communiquer. Ils s’adaptent aux besoins des médias”, note Henry Bouvier, adjoint vidéo à la rédaction en chef de l’Agence France-Presse.
Les zones contrôlées par le groupe Etat islamique (EI) étant inaccessibles aux journalistes, il arrive que l?AFP reprenne, après un examen approfondi, certaines images tournées et mises en ligne par l’EI et les organisations affiliées, pour les transmettre aux autres médias.
A côté des vidéos de décapitation de journalistes et d’humanitaires occidentaux destinées à semer la terreur – que la plupart des médias, dont l’AFP, refusent de relayer -, l’EI diffuse en effet des images des combats à Kobané, en Syrie, répondant plus aux codes du reportage et destinées aux médias occidentaux. Ces images sont diffusées notamment sur la chaîne YouTube Aamaq News, proche de l’EI.
Située à quelques kilomètres de la Turquie, Kobané, théâtre de violents combats, est devenue depuis plus d’un mois le symbole de la résistance des Kurdes syriens face à l’EI, qui cherche à élargir son emprise territoriale en Syrie et en Irak, où il a déclaré un “califat”.
“Ils (l’EI) ont bien conscience que pour être repris, ils doivent respecter un certain nombre de codes. De plus en plus, quand ils le peuvent, ils montrent des plaques d’immatriculation ou des lieux identifiables, comme, récemment, le centre culturel de Kobané” pour permettre aux medias d’authentifier les images, relève Henry Bouvier.
“Ils tournent des images en style TV, sans musique, ni effets spéciaux. Même dans la manière de présenter les gens ou de parler, ils sont plus neutres et plus journalistiques”, ajoute-t-il.
– “Professionnalisme” –
Céline Pigalle, directrice de l’information du groupe Canal+, constatait récemment aux Assises du Journalisme à Metz, que les images de l’EI étaient “produites par une agence spécialement dédiée” avec “un grand professionnalisme”.
Si ces vidéos se veulent informatives, d’autres films, destinés eux à la propagande, adoptent les codes cinématographiques d’Hollywood ou des jeux vidéo: ralentis, musique et effets visuels mettant en scène les entraînements ou les combats de l’EI.
“L’Etat islamique a différents canaux de communication : un interne avec un cryptage auquel il est très difficile d’accéder, un destiné à l’Occident, un pour les populations qui sont sous son contrôle”, explique à l’AFP Abdelasiem El Difraoui, docteur en sciences politiques, auteur de “Al-Qaïda par l’image” et de “Carnets Egyptiens”.
Outre les films de propagande et de combats, l’EI a utilisé les réseaux sociaux et plates-formes sur internet pour recruter et vanter ses actions, à travers les publications de ses combattants, remarquent les experts.
“La technologie a énormément progressé et il y a, au sein de l’Etat islamique, beaucoup plus d’Occidentaux qui sont des +digital natives+ (nés avec internet, NDLR) et donc très à l’aise avec ces outils”, souligne Abdelasiem El Difraoui.
Mais l’EI semble avoir réalisé que la diffusion d’images et de photos sur internet pouvait être à double tranchant. Car celles-ci peuvent permettre aux services secrets de localiser des lieux ou d’identifier ses forces.
“Les réseaux sociaux ont beaucoup aidé au recrutement mais dès que ça a mis en danger la sécurité opérationnelle, ils ont resserré les boulons”, note ce politologue germano-égyptien.
“Avant l’intervention de la coalition, il y avait une incitation à publier des photos. La consigne était: +montrez une image positive de nous+ pour pousser à l’immigration et faciliter le recrutement”, abonde David Thomson, journaliste de RFI et auteur du livre “Les Français jihadistes”.
Mais le ton a changé, selon ce bon connaisseur du dossier. “Au début de l’offensive, mi-septembre, un document officiel d’une page qui porte le tampon de l’EI a été diffusé en interne. Il demande aux combattants de ne plus filmer ou photographier avec leur téléphone”.
“C’est une consigne qui est appliquée avec une rigueur variable. Même s’ils font attention, ça n’empêche certains de poster des photos ou des selfies”, conclut-il.