Selon Chafik Sarsar, président de l’Instance supérieure pour l’indépendance des élections (lSIE), le taux de participation aux élections législatives a atteint 61,8%. En d’autres termes, seuls 3,2 millions de Tunisiens ont voté sur un total de 5,2 millions d’inscrits. Si on tient compte de la majorité électorale, soit 7 millions d’inscrits et de non-inscrits, environ 4 millions de Tunisiens en âge de voter n’ont pas fait le déplacement pour choisir leurs députés.
Ainsi, plus de la moitié des Tunisiens en âge de voter ont refusé d’accomplir leur devoir électoral. Selon leur logiciel mental, ils considèrent que cela ne sert à rien, que leur vote ne changera rien, et que la vie politique est un jeu sans impact réel sur leur propre existence.
A priori, ce chiffre est énorme. Il illustre de manière éloquente le grand écart entre l’offre politique et la demande du pays réel. Néanmoins, cet écart, qui reflète une certaine rupture entre les politiques et le peuple, semble prendre une dimension structurelle en ce sens où il n’est pas nouveau. Il a été relevé lors de rendez-vous électoraux antérieurs, particulièrement, à l’occasion des premières élections démocratiques du 23 octobre 2011. Lors de ces premières élections pourtant historiques, plus de la moitié du pays ne s’était pas déplacée pour élire les membres de la Constituante.
Cette abstention aurait été plus importante si jamais les votants ne s’étaient pas mobilisés en masse pour voter utile en faveur du parti Nidaa Tounès –selon les premières estimations- et sauver le pays d’une autre Troïka. A preuve, l’enjeu de ces législatives n’était pas de voter pour un parti ou pour un programme de parti mais pour un projet de société moderniste incarnée par Nidaa Tounès et de s’opposer au projet de société conservateur et rétrograde essentiellement véhiculée par le parti Ennahdha.
Pour les observateurs de la chose tunisienne, ce vote utile a permis d’éviter le taux d’abstention catastrophique de 35% en vertu duquel les députés élus auraient été considérés non représentatifs.
Il a eu également l’avantage de remédier à la division des autres forces politiques (camp démocratique-progressiste, camp des destouriens et des RCDistes) et à leur incapacité à se présenter comme une alternative crédible à la bipolarisation “Nidaa Tounès/Ennahdha“ lesquels partis étaient les seuls à disposer d’une base électorale captive et disciplinée.
Le vote obligatoire aurait pu être la solution
Ce fort taux d’abstention, même s’il est logiquement compréhensible en période de transition démocratique, aurait pu être évité si jamais le parti Ennahdha et ses acolytes, alors au pouvoir, étaient animés par un souffle patriotique et démocratique.
Ainsi, ils auraient pu prévoir dans la loi électorale non pas le vole volontaire mais le vote obligatoire. Le Tunisien étant considéré dans cette perspective comme un citoyen sous-politisé et peu conscient des enjeux électoraux et politiques. Mais, Ennahdha avait d’autres intentions. Il semble qu’elle comptait plus sur l’indifférence des masses et sur leur ignorance pour remporter les élections. Mais c’est raté.
Car si jamais la Tunisie avait opté pour le vote obligatoire, cette option nous aurait évité toutes sortes de réclamations et de vaines littératures électoralistes. Est-il besoin de rappeler que le vote obligatoire est retenu par plusieurs pays comme un remède efficace contre l’abstention.
Finalité: tout citoyen doit impérativement voter et faire en sorte que ses institutions soient légitimes et donc bien élues.
Le vote obligatoire a justement pour objectif de réveiller la conscience politique des citoyens, de les responsabiliser et de développer en eux le sens du devoir.
Ce qui est certain, c’est que dans les pays qui ont adopté cette mesure, l’abstention a fortement baissé.
Pour mémoire, plusieurs pays ont fait le choix de cette institution. Elle est, aujourd’hui, fort ancienne en Belgique, puisqu’elle a été mise en place en 1893. C’est aussi dès 1924 que le vote obligatoire a été instauré en Australie pour les élections nationales. Il a par la suite été adopté au Luxembourg (loi du 31 juillet 1924), en Turquie, en Grèce, en Autriche (Land du Vorarlberg depuis 1919) et dans le canton suisse de Schaffhouse depuis 1876.
Ce procédé ne se limite pas à l’Europe élargie, puisqu’il existe également dans certains pays d’Amérique latine (tels le Costa Rica, la Bolivie et le Brésil).
Espérons, in fine, que la prochaine équipe qui accèdera au pouvoir sera mieux intentionnée et œuvrera à être à l’écoute du pays réel, à tenir compte de ses limites et à l’associer, même s’il n’est pas conscient, à la chose publique, notamment aux élections.
A bon entendeur.