C’est avec un sentiment d’impuissance et de grande frustration que les salariés et pensionnaires du secteur public s’apprêtent à accepter ce mois-ci, malgré eux, des retenues exceptionnelles sur leurs salaires et pensions d’octobre–novembre-décembre 2014. Leur frustration est d’autant plus grande quand ils constatent que le gouvernement des technocrates de Mehdi Jomaa n’a, pratiquement, rien fait pour faire avancer les choses, particulièrement en ce qui concerne la précarité de la vie et les réformes tant attendues en matière de fiscalité, d’investissement, d’un meilleur ciblage de la compensation, de restructuration des banques publiques, d’intégration du marché informel…
Ils ont l’impression de consentir ce sacrifice presque pour rien.
Gros plan sur les tenants et aboutissants d’une nième injustice perpétrée par l’Etat contre une grande frange de la société.
Officiellement, le gouvernement entend, à travers cette retenue applicable seulement pour 2014, mobiliser des ressources d’un montant de 320 millions de dinars au profit du budget de l’Etat, plus exactement, au payement des fonctionnaires. Autrement dit, on prélève une partie de leurs salaires d’un côté, et on la leur rend de l’autre. Comble du cynisme de ce gouvernement qui, pour occulter son incompétence criarde à gérer au mieux les finances publiques du pays, opte pour une solution de facilité. Celle-là même qui consiste à amener, à travers cette retenue, les salariés et les pensionnaires à «cotiser en quelque sorte» pour payer les salaires et pensions de plusieurs milliers de leurs collègues. Sur ce point, on peut dire que le gouvernement de Mehdi Jomaa, à l’instar des autres gouvernements qui l’ont précédé, n’a pas été bien inspiré.
Un sacrifice pour rien ou presque
Résultat: les 320 MDT que générera cette retenue ne seront pas destinés à l’investissement public, et son corollaire, la création d’emplois, mais au payement des salaires et pensions de retraites. Autrement dit, ce gouvernement recourt à la même technique utilisée par la Troïka laquelle s’endettait auprès des bailleurs de fonds pour payer les salaires et pensions, avec cette petite nuance: l’actuel gouvernement a affiné la technique en se servant directement à la source et en sabrant, à cette fin et sans aucune redevabilité, les salaires et les retraites.
La question essentielle qui se pose est de savoir si le gouvernement, à travers la levée de ces 320 MDT, peut initier voire financer un projet économique. La réponse est non. Il s’agit donc tout simplement d’une diminution de salaire déguisée.
Réagissant indirectement à cette injustice dans une récente interview accordée à Webmanagercenter, Habiba Louati, directrice générale des études et de la législation fiscale au ministère de l’Economie et des Finances, l’a imputée «aux limites des moyens mis à la disposition de l’Administration fiscale» lesquels ne permettent pas «d’appréhender les fraudeurs». Conséquence selon elle: «le fisc surtaxe les bons payeurs pour financer le budget de l’Etat» (lire notre article).
La non-constitutionnalité de cette retenue aurait pu être dénoncée
La réaction de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a été pour sa part très décevante. Elle s’est illustrée par sa mollesse pour ne pas dire par sa complaisance. En cette période de transition démocratique caractérisée par la pluralité syndicale, l’UGTT risque d’en payer ultérieurement les frais et de perdre de sa crédibilité. Car cette retenue sauvage sur les salaires et les pensions de retraites a tout simplement des relents de braquage officiel.
La centrale syndicale aurait pu dénoncer «la non constitutionnalité de cette mesure» et recourir à cet effet à l’Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de lois. Moyennant un tapage médiatique et une mobilisation des syndicats de base, elle aurait pu exiger en contrepartie des mesures urgentes s’agissant notamment d’un meilleur ciblage de la compensation, d’un meilleur encadrement du marché parallèle et d’atténuation de la cherté de la vie (baisse des prix, lutte contre les intermédiaires…).
Côté salariés et retraités, ces derniers, impuissants et mis devant le fait accompli, crient au scandale. Ils pensent que la mafia politico-financière qui s’est relayée au pouvoir pendants quatre ans les traite toujours comme «une vache à lait» et estiment que cette retenue ne sert que pour maintenir une bande de sangsues, d’incompétents et de parasites».
Il faut dire que cette retenue touche, notamment la classe moyenne et contribue à sa paupérisation. Vu sous cet angle, elle est discriminatoire. Elle consacre de nouveau la politique des deux poids, deux mesures. C’est tout simplement répugnant, révoltant et donc condamnable.