Un discours important que celui prononcé par Vladimir Poutine lors de la clôture du club Valdaï tenue à Sotchi en Russie, sous l’appellation «L’ordre mondial: De nouvelles règles ou un jeu sans règles?». A le parcourir, il est évident que non seulement l’un des hommes les plus forts de la planète remet en question les règles suivies à ce jour par les grandes puissances et à leur tête les USA dans la gestion des affaires du monde mais y annonce une nouvelle feuille de route où Américains et autres Occidentaux ne seront plus les seuls joueurs sur l’échiquier terre. D’autres puissances mondiales ont et auront leurs mots à dire dans la mise en place d’un nouvel ordre mondial moins hégémonique et moins axé sur l’économico-politique aux dépens de l’humain.
Ci-après quelques extraits du discours recueillis auprès de l’agence de presse «Novorossia news agency».
«La notion même de “souveraineté nationale“ est devenue une valeur relative pour la plupart des pays. En essence, ce qui était proposé était cette formule: “plus la loyauté de tel ou tel régime en place envers le seul centre de pouvoir dans le monde est grande, plus grande sera sa légitimité“»…
«Les mesures prises contre ceux qui refusent de se soumettre sont bien connues et ont été essayées et testées de nombreuses fois. Elles comprennent l’usage de la force, la pression économique et la propagande, l’ingérence dans les affaires intérieures, et les appels à une sorte de légitimité “supra-légale“ lorsqu’ils ont besoin de justifier une intervention illégale dans tel ou tel conflit ou de renverser des régimes qui dérangent (il s’agit des USA et leurs alliés européens). Dernièrement, nous avons de plus en plus de preuves que le chantage pur et simple a également été utilisé en ce qui concerne un certain nombre de dirigeants. Ce n’est pas pour rien que “Big Brother“ dépense des milliards de dollars pour tenir sous surveillance le monde entier, y compris ses propres alliés les plus proches»…
«Un diktat unilatéral et le fait d’imposer ses propres modèles aux autres produisent le résultat inverse. Au lieu de régler les conflits, cela conduit à leur escalade: à la place d’États souverains et stables, nous voyons la propagation croissante du chaos; et à la place de la démocratie, il y a un soutien pour un public très douteux allant de néo-fascistes avoués à des islamistes radicaux»…
Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, qui après?
«Au cours de mes conversations avec les dirigeants américains et européens, je parlais toujours de la nécessité de lutter ensemble contre le terrorisme, de le considérer comme un défi à l’échelle mondiale. Nous ne pouvons pas nous résigner et accepter cette menace, nous ne pouvons pas la couper en morceaux séparés à l’aide du deux poids deux mesures. Nos partenaires ont exprimé leur accord, mais après quelques temps, nous nous sommes retrouvés au point de départ. Ce fut d’abord l’opération militaire en Irak, puis en Libye, qui a été poussée au bord du gouffre. Pourquoi la Libye a-t-elle été réduite à cette situation? Aujourd’hui, c’est un pays en danger de démantèlement et qui est devenu un terrain d’entraînement pour les terroristes…
… La Russie a mis en garde à plusieurs reprises sur les dangers des actions militaires unilatérales, des interventions dans les affaires des Etats souverains, et des flirts avec les extrémistes et les radicaux. Nous avons insisté pour que les groupes luttant contre le gouvernement syrien central, surtout l’Etat islamique, soient inscrits sur les listes des organisations terroristes. Mais avons-nous vu le moindre résultat? Nous avons lancé des appels en vain…
… Nous avons parfois l’impression que nos collègues et amis sont constamment aux prises avec les conséquences de leurs propres politiques, et qu’ils dépensent tous leurs efforts dans le traitement des risques qu’ils ont eux-mêmes créés, en payant un prix de plus en plus élevé…
… N’oublions pas les leçons de l’histoire. Tout d’abord, les changements dans l’ordre mondial –et tout ce que nous voyons aujourd’hui constitue des événements de cette ampleur– ont généralement été accompagnés sinon par une guerre et des conflits à l’échelle mondiale, du moins par des chaînes de conflits locaux intenses. Deuxièmement, la politique mondiale est avant tout une question de leadership économique, de guerre et de paix, avec une dimension humanitaire, incluant les droits de l’Homme…»
Plaidoyer pour un nouvel équilibre des forces…
«…Mais les Etats-Unis, s’étant eux-mêmes déclarés vainqueurs de la Guerre Froide, n’en voyaient pas le besoin. Au lieu d’établir un nouvel équilibre des forces, essentiel pour maintenir l’ordre et la stabilité, ils ont pris des mesures qui ont jeté le système dans un déséquilibre marqué et profond…
…La Guerre Froide a pris fin, mais elle n’a pas pris fin avec la signature d’un traité de paix comprenant des accords clairs et transparents sur le respect des règles existantes ou la création d’un nouvel ensemble de règles et de normes. Cela a créé l’impression que les soi-disant “vainqueurs“ de la Guerre Froide avaient décidé de forcer les événements et de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres besoins et intérêts. Lorsque le système actuel des relations internationales, le droit international et les freins et contrepoids en place faisaient obstacle à ces objectifs, ce système a été déclaré sans valeur, obsolète et nécessitant une démolition immédiate…
…Pardonnez l’analogie, mais c’est la façon dont les nouveaux riches se comportent quand ils se retrouvent tout à coup avec une grande fortune, dans ce cas sous la forme d’un leadership et d’une domination mondiale. Au lieu de gérer leur patrimoine intelligemment, pour leur propre bénéfice aussi bien sûr, je pense qu’ils ont commis beaucoup de folies…
… Nous sommes entrés dans une période de différentes interprétations et de silences délibérés dans la politique mondiale. Le droit international a été, à maintes fois, forcé de battre en retraite, encore et encore, par l’assaut impitoyable du nihilisme légal. L’objectivité et la justice ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Des interprétations arbitraires et des évaluations biaisées ont remplacé les normes juridiques. Dans le même temps, l’emprise complète sur les médias de masse mondiaux ont rendu possible, quand on le désirait, de présenter le blanc comme noir et le noir comme blanc…»
«Peu importe qui prend la place du centre du mal dans la propagande américaine»
«… Essentiellement, le monde unipolaire est tout simplement un moyen de justifier la dictature sur les individus et les nations. Le monde unipolaire s’est avéré un fardeau trop rude, trop lourd et trop ingérable même pour son chef auto-proclamé… Voilà pourquoi nous voyons, en cette nouvelle étape de l’histoire, des tentatives de recréer un semblant de monde quasi-bipolaire en tant que modèle commode pour perpétuer le leadership américain. Peu importe qui prenne la place du centre du mal dans la propagande américaine, peu importe qui remplace l’ex-l’URSS en tant que principal adversaire. Cela pourrait être l’Iran, en tant que pays qui cherche à acquérir la technologie nucléaire, la Chine, en tant que plus grande économie mondiale, ou la Russie, en tant que superpuissance nucléaire…
… Les Etats-Unis ont toujours dit à leurs alliés: “Nous avons un ennemi commun, un ennemi terrible, le centre du mal, et nous vous protégeons, vous nos alliés, de cet ennemi, et nous avons donc le droit de vous donner des ordres, de vous forcer à sacrifier vos intérêts politiques et économiques et à payer votre quote-part des coûts de cette défense collective, mais nous serons les responsables de tout cela bien sûr“.
Bref, nous voyons aujourd’hui des tentatives, dans un monde nouveau et changeant, de reproduire les modèles familiers de la gestion globale, et tout cela de manière à garantir aux États-Unis leur situation exceptionnelle et à récolter des dividendes politiques et économiques. Mais ces tentatives sont de plus en plus déconnectées de la réalité et sont en contradiction avec la diversité du monde…»
Des signes de désillusion quant aux fruits de la mondialisation…
«… La prospérité des États-Unis repose en grande partie sur la confiance des investisseurs et des détenteurs étrangers de dollars et de valeurs mobilières étasuniennes. Cette confiance est clairement mise à mal et des signes de désillusion quant aux fruits de la mondialisation sont maintenant visibles dans de nombreux pays.
Le précédent bien connu de Chypre et les sanctions pour des motifs politiques n’ont fait que renforcer la tendance à chercher à renforcer la souveraineté économique et financière et la volonté des pays ou de leurs groupes régionaux de trouver des moyens de se protéger contre les risques de pressions extérieures. Nous voyons déjà que de plus en plus de pays cherchent des moyens de devenir moins dépendants du dollar et mettent en place des systèmes financiers, de paiement et des monnaies de réserve alternatifs. Je pense que nos amis américains sont tout simplement en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis. On ne peut pas mélanger la politique et l’économie, mais c’est ce qui se passe maintenant…»
La Russie n’a pas peur des sanctions économiques décrétées à son encontre
«… Bien sûr, les sanctions constituent un obstacle. Elles essaient de nous affaiblir par ces sanctions, d’entraver notre développement et de nous pousser à l’isolement politique, économique et culturel, en d’autres termes nous forcer à prendre du retard. Mais permettez-moi de rappeler encore une fois que le monde est un endroit très différent aujourd’hui. Nous n’avons pas l’intention de nous isoler de quiconque ou de choisir une sorte de voie de développement fermée, en essayant de vivre en autarcie. Nous sommes toujours ouverts au dialogue, y compris au sujet de la normalisation de nos relations économiques et politiques. Nous comptons ici sur l’approche et la position pragmatiques des milieux d’affaires dans les principaux pays.
Certains disent aujourd’hui que la Russie tournerait le dos à l’Europe –de tels propos ont probablement été tenus ici aussi lors des discussions– et rechercherait de nouveaux partenaires commerciaux, surtout en Asie. Permettez-moi de dire que ce n’est absolument pas le cas. Notre politique active dans la région Asie-Pacifique n’a pas commencé hier, et non en réponse aux sanctions, mais c’est une politique que nous suivons depuis maintenant un bon nombre d’années. Comme beaucoup d’autres pays, y compris les pays occidentaux, nous avons vu que l’Asie joue un rôle de plus en plus important dans le monde, dans l’économie et dans la politique, et nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’ignorer ces développements…».
Source : Novorossia news agency