La «Prévention de la corruption: une exigence démocratique dans un État de Droit», tel est le thème d’un séminaire franco-tunisien qui s’est tenu, au début du mois d’octobre 2014, à Tunis, à l’initiative du secrétariat d’État à la Gouvernance et à la Fonction publique et de l’ambassade de France à Tunis. En voici l’essentiel.
Ce séminaire a eu le mérite de faire le tour de la problématique de la corruption qui était «érigée en système de gouvernement», au temps de Ben Ali et qui, à défaut de véritable volonté politique, continue à gangrener le pays après la révolution, et ce en dépit d’une prise de conscience certaine du fléau et de quelques avancée.
Par les chiffres, Kamel Amara, député et membre de la Commission de lutte contre la corruption et de la réforme administrative, a estimé les biens de l’ancien régime confisqués par l’État à 30 milliards de dinars, soit 1,2 fois le budget de l’Etat. A tel point, dit-il, que beaucoup de Tunisiens ne voient plus «l’ascenseur de la richesse dans le travail mais dans le système D».
Concrètement, les experts tunisiens et français ont débattu de bon nombre de dossiers liés à la corruption. Parmi ceux-ci figurent en bonne place: la prévention de la corruption dans les collectivités locales, les chartes déontologiques, la détection de l’argent mal acquis, la spécificité des enquêtes en matière de corruption, le rôle de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, la prévention de la corruption des magistrats, la détection des flux financiers internationaux, le rôle des lanceurs d’alerte et de la société civile et celui de la plateforme française d’identification des avoirs criminels.
Ce qui a été fait et ce qui reste à faire
Concernant la stratégie mise en place par le gouvernement pour y remédier, Anouar Ben Khélifa, secrétaire d’État à la Gouvernance et à la Fonction publique, en a esquissé les grandes lignes. Pour lui, l’objectif est de réfléchir sur les moyens de bâtir de façon pérenne les fondements d’un État de Droit en Tunisie.
Selon lui, les priorités consisteront à améliorer l’efficacité, la redevabilité, l’intégrité et la transparence des services de l’État.
Quant aux pas franchis jusque-là en matière de lutte contre la corruption, Ben Khélifa a évoqué l’élaboration d’un code de conduite dédié au renforcement de l’éthique dans le service public, approuvé en juin 2014, et la réforme du cadre juridique régissant les marchés publics qui, a-t-il souligné, représentent 18% du PIB.
D’autres projets sont en cours. Il s’agit de l’incrimination de l’enrichissement illicite, la protection des personnes dénonçant des cas de malversation, la déclaration de patrimoine, sans oublier le lancement attendu du portail en ligne dédié à la dénonciation des cas de corruption.
Il a également cité le projet «e-people» permettant à tout citoyen de participer aux politiques publiques par ses remarques et ses propositions ainsi que l’initiative «opengov» visant à renforcer la transparence et simplifier les procédures administratives.
Au plan international, Ben Khélifa a rappelé que la Tunisie avait engagé, en 2013, les procédures liées au mécanisme d’examen de la convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption.
Intervenant, Samir Annabi, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, a plaidé pour le regroupement des institutions chargées de la lutte contre la corruption et de la création, conformément à l’article 130 de la Constitution de l’Instance nationale de lutte contre la corruption. Le but est d’aller vers une politique nationale stable en matière de prévention de la corruption et de gouvernance de manière générale. «L’Instance nationale de lutte contre la corruption doit avoir un rôle préventif, indépendamment de l’alternance des gouvernements», a déclaré Samir Annabi.
L’accompagnement français
Et pour ne rien oublier, l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette, a évoqué l’accompagnement que la France compte apporter à notre pays en matière de lutte contre la corruption.
Cet accompagnement s’est concrétisé par la nomination d’un magistrat de liaison à Tunis en décembre 2013 pour faciliter et accélérer les échanges judiciaires sur la question des avoirs mal acquis, la formation initiale et continue des professionnels de la justice, les formations régionales organisées pour les journalistes en matière d’investigation, l’appui de la France à la gouvernance territoriale à travers un Fonds de soutien à la décentralisation et à la gouvernance financière des collectivités locales (don de 600.000 euros).
Autre action citée par le diplomate français, la contribution de la France à la modernisation de l’Administration publique tunisienne, depuis de nombreuses années. 100 bourses sont notamment accordées chaque année pour un montant annuel de 300.000 euros.
La corruption peut être prévenue
Par-delà les bonnes intentions des uns et des autres, Kamel Ayadi, expert anticorruption, s’est penché longuement sur les mécanismes de prévention de la corruption. Il estime que ce qui a aggravé le phénomène en Tunisie, c’est la corruption au niveau des grands marchés publics.
A ses yeux, la dématérialisation des marchés publics, notamment l’OpenGov, l’Open Data, et même les lois… ne sont que de simples outils. «Ce qui nous manque, note-t-il, ce n’est pas l’outil en lui-même, c’est plutôt la volonté. Normalement, il faut avoir la volonté avant d’avoir l’outil. Pour nous, c’est tout à fait le contraire, les outils sont là, mais on attend toujours à ce que les mentalités changent». Tout un programme.
Il pense que la corruption n’est pas une fatalité. «Dans le secteur des affaires, dit-il, la corruption n’est aujourd’hui qu’une question de gestion. C’est exactement le même cas qu’on a vécu il y a une trentaine d’années, concernant les normes de qualité et de la sécurité au sein de l’entreprise. La lutte contre la corruption a suivi le même parcours. Elle est en train d’être normalisée et structurée par des règles de gestion».
A bon entendeur
* Le compte rendu des interventions de ce séminaire est publié sur le site de l’ambassade de France à Tunis.