Les riziculteurs japonais, la modernisation ou le déclin

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à Ryugasaki, le 17 août 2014 (Photo : Yoshikazu Tsuno)

[05/11/2014 16:09:44] Ryugasaki (Japon) (AFP) Jeune, à la pointe de la technologie et ouvert sur le monde, Shuichi Yokota fait figure d’exception parmi les riziculteurs japonais, dans un pays engagé dans une difficile entreprise de modernisation de son agriculture, sous peine d’être condamnée au déclin face à la compétition étrangère.

A 38 ans, il a la moitié de l’âge de la plupart de ses collègues, il pianote sur son smartphone pour gérer son activité et son champ fait 50 fois la taille d’une parcelle moyenne.

Au fil des 15 dernières années, son exploitation située à Ryugasaki, au nord de Tokyo, a grossi, grossi et couvre désormais 112 hectares.

“Je suis un des rares agriculteurs à temps plein de la région, du coup les fermiers qui prennent leur retraite m’ont demandé de cultiver leurs lots pour eux. Ils n’avaient aucun membre de la famille pour prendre le relais et ne voulaient pas vendre une terre héritée de leurs ancêtres”, explique-t-il.

Shuichi Yokota incarne l’avenir du secteur, plaident les partisans d’une réforme du système actuel, jugé largement inefficace.

Désireux de protéger un ingrédient révéré, aliment de base de la cuisine japonaise traditionnelle, l’Etat subventionne depuis 1971 les petits riziculteurs qui acceptent de limiter leur production en-dessous d’un quota fixé par les autorités.

Cette politique de contrôle baptisée “gentan”, conjuguée à des tarifs douaniers rédhibitoires (jusqu’à 778%), vise à enrayer la baisse des prix du riz, conséquence d’une moindre consommation (réduite de moitié en 50 ans). Un sac de 5 kg vaut encore 2.000 à 3.000 yens (14 à 22 euros) à Tokyo, soit plus de trois fois plus qu’à Sydney, Bangkok ou Pékin.

Mais dans le même temps, cette méthode a fait de la riziculture un métier à temps partiel en encourageant les faibles surfaces. Ne pouvant en vivre, les jeunes sont partis travailler dans d’autres secteurs, abandonnant la charge de l’exploitation à leurs aînés.

Aujourd’hui nombreux à partir à la retraite – la moyenne d’âge est de 66 ans -, les paysans peinent à trouver un successeur. Résultat, environ 400.000 hectares de terre ont été laissés en friche à travers l’archipel, soit 10% de la surface agricole totale.

D’aucuns appellent à accélérer le remembrement: “il faut rassembler de petites parcelles en une grosse exploitation et en confier la gestion à de jeunes agriculteurs compétents, comme Yokota”, estime Masayoshi Honma, professeur d’économie à l’université de Tokyo.

Ou bien à des entreprises, comme le groupe de distribution Aeon qui projette de se lancer dans la culture du riz l’an prochain, avec l’ambition de gérer pas moins de 100 hectares à l’horizon 2020.

– Abolition des quotas –

Sous pression pour ouvrir le secteur à la concurrence dans le cadre des négociations commerciales avec plusieurs pays, et non des moindres, le gouvernement de Shinzo Abe a entrepris une vaste restructuration du secteur agricole, plus morcelé et moins mécanisé que ses homologues américain ou français, dans le souci de renforcer sa compétitivité.

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à Ryugasaki, le 17 août 2014 (Photo : Yoshikazu Tsuno)

Au premier rang des mesures annoncées, figure l’abolition des quotas à partir de 2018, afin que les agriculteurs puissent décider librement du volume de leur production.

Certains pourraient cependant continuer de recevoir des subventions, par exemple ceux qui produisent du riz dédié à l’alimentation du bétail ou ceux installés dans les régions montagneuses.

Reste le sujet sensible des prélèvements douaniers, si élevés qu’ils limitent les importations à un niveau dérisoire (77 tonnes l’an passé, contre une production nationale de 8 millions).

Il s’agit d’un des principaux points d’achoppement dans les discussions liées au projet d’accord de libre-échange connu sous le nom de Partenariat transpacifique (TPP) avec 11 autres nations de la région Asie-Pacifique, dont les Etats-Unis.

Malgré les résistances de nombreux agriculteurs qui redoutent un effondrement du secteur en cas d’afflux de marchandise étrangère à bas prix, Shuichi Yokota y voit une possibilité de redonner un nouveau souffle à une agriculture bien mal en point.

“Si notre production dépasse la consommation nippone, nous pourrons alors nous tourner vers de nouveaux marchés – le TPP ne serait pas une menace dans ce cas”, assure-t-il.