Les Mistral, casse-tête russe de François Hollande

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à Saint-Nazaire (Photo : Frank Perry)

[06/11/2014 10:24:44] Paris (AFP) Se mettre à dos l’Otan ou un client encombrant, la Russie: pour le président français François Hollande, l’arbitrage sur les Mistral s’annonce des plus délicats, à moins qu’il ne choisisse de gagner du temps en retardant sa décision.

A quelques jours de l’échéance initialement prévue, mi-novembre, pour la livraison d’un premier exemplaire de ces monstres d’acier et de technologie à la Marine russe, l’incertitude reste totale.

Véritable serpent de mer diplomatico-militaire depuis la décision présidentielle, le 4 septembre, de lier la livraison d’un premier navire à un règlement politique en Ukraine, les Mistral semblaient bénéficier de vents plus porteurs avant que la situation ne se tende de nouveau dans l’est séparatiste avec les élections contestées du 2 novembre.

Semant un peu plus le trouble, avec un art consommé de la provocation, Moscou annonçait fin octobre avoir reçu une invitation des chantiers navals DCNS pour une première livraison le 14 novembre.

“Aujourd’hui les conditions ne sont pas réunies”, a dû alors temporiser le ministre français des Finances, Michel Sapin, devant l’agitation croissante suscitée par ce contrat de 1,2 milliard d’euros.

Si elle se décide à livrer ces bâtiments de projection et de commandement (BPC), véritables “couteaux suisses” de la marine en raison de leur polyvalence (ils peuvent emporter 16 hélicoptères, quatre chalands de débarquement, 13 chars, un état-major, 450 fantassins et un hôpital), la France est assurée de semer l’émoi en Pologne et dans les pays Baltes, qui s’estiment en première ligne face à la Russie et redoutent de faire à leur tour les frais de son imprévisibilité.

Les Etats-Unis militent aussi haut et fort contre cette livraison alors même que les sanctions pleuvent sur la Russie pour qu’elle infléchisse son soutien aux séparatistes ukrainiens.

A l’inverse, une annulation risque de placer la France dans la difficile position du partenaire qui n’honore pas ses contrats.

“Bien sûr, la Russie portera plainte et exigera le paiement de pénalités, et elle aura de bonnes chances de gagner un procès (…) La France passera en outre pour le pays qui a dû céder sous la pression américaine”, anticipe Alexandre Goltz, analyste militaire indépendant à Moscou.

– Pas de plan B –

“Si on ne les livre pas, on gagne la considération de la Pologne, les applaudissements de Washington. Avec cela on ne va pas très loin”, renchérit une source française proche du dossier.

Si le contrat était annulé, “il n’y a pas de plan B”, relève une source proche du constructeur DCNS. En d’autres termes, il n’est pas possible de le vendre à un autre client même si certains suggèrent que l’Otan loue ou achète ces bateaux de guerre.

L’impact d’une telle annulation, aussi retentissante soit-elle, sur d’autres négociations en cours, notamment pour la vente de 126 avions de combat Rafale à l’Inde, et sur l’image de la France à l’étranger semble en revanche plus improbable.

“La relation entre l’Inde et la France n’a rien à voir avec celle de la Russie et les pays occidentaux”, relève Philippe Plouvier, expert du secteur au Boston Consulting Group.

A Moscou, une troisième voie est esquissée. Une source travaillant dans les milieux de la coopération militaire a assuré mardi à l’agence TASS que le contrat signé permettait de reporter de trois mois la livraison.

Jeudi, une autre source “militaro-diplomatique”, citée par Interfax, indiquait que les marins russes en formation à Saint-Nazaire (ouest) pouvaient attendre jusqu’à la fin décembre pour la réception du navire. “Ensuite nos marins devront rentrer à Cronstadt (base navale à Saint-Pétersbourg)”, a-t-elle dit.

Une option non confirmée toutefois à Paris, où l’on invoque la confidentialité des clauses du contrat.

“Si la France ne livre pas en temps et en heure mais n’exclut pas de livrer plus tard (..) cela permettrait de ne pas insulter l’avenir. Le coût politique et financier resterait à ce stade limité”, analyse Bruno Tertrais, expert à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Mais marge de manoeuvre de Paris reste limitée. “Si on se retrouve dans la même situation dans quelques mois, tous paramètres considérés, il serait indécent de ne pas envisager l’annulation”, estime-t-il. “D’une manière ou d’une autre, il faudra sortir de ce dilemme dans le courant de l’hiver”.