Le basculement vers la deuxième République est un chantier à risque multiple. Comment dès lors sécuriser l’opération? BCE, en campagne, présente un mode d’emploi pour sauvegarder le process. Un exposé d’ingénierie politique.
BCE prend les devants et fait feu de tous bois. La compétition est serrée et tous les candidats sont sur les starting blocks. Vendredi soir (31 octobre 2014) sur Nessma TV, ou dimanche au mausolée Bourguiba, BCE engage la bataille. En chef politique habile, il se livre à un jeu d’adresse. Il ne cherche pas à doubler ses compétiteurs dans la course à la magistrature suprême. Mieux, il déploie l’artillerie lourde en usant de son expérience dans la gestion des affaires de l’Etat. Il apparaît à l’opinion dans la position du pilote de chantier et capable de mettre sur pied l’édifice institutionnel de la deuxième République. Ce faisant, il s’est mis, sur son terrain d’expertise, dans la posture de régisseur de la partie. Et, maître du jeu?
Préserver la même souche républicaine et le référentiel bourguibien
L’objectif est clair pour BCE. Le basculement vers la IIème République est un processus semé de risques. Le plus important d’entre tous, c’est celui de la rupture avec l’état de l’indépendance. Il faut que la deuxième République soit la fille de la première, de sorte qu’elle capitalise sur ses acquis, notamment l’émancipation de la femme, l’éducation publique, la santé, l’Etat providence et par-dessus tout l’unité nationale. La IIème doit garder le même ADN et le même patrimoine génétique. Cet enracinement est essentiel. BCE le rappelait avec insistance: le même drapeau et le même référentiel civilisationnel, celui d’un Etat pour un peuple musulman.
La deuxième République doit assurer le bridging avec l’état de droit et des institutions.
Deux Républiques mais une seule et même souche. Si on laisse le concept muter, gare aux surprises. Il faut se souvenir de la mouture de la Constitution du 1er juin 2013 et de l’incrustation de la Chariaa qui nous aurait enfermés dans le carcan du communautarisme. Cette dérive aurait scellé cette malédiction de l’incapacité de l’islam à se concilier avec la démocratie. L’on doit rester sur le qui-vive.
Neutraliser les munitions des candidats sans référent patriotique
Il est, par conséquent, impératif que l’émancipation démocratique soit l’occasion de ressouder l’unité nationale, et la nature de notre projet de société. S’agrippant au centre de gravité national, BCE met hors-jeu les islamistes et la gauche pour leurs accointances avec des regroupements internationalistes.
Sur un autre plan, il neutralise les munitions diverses dont se sert l’adversité pour le couler. Ainsi en est-il du supposé retour du parti-Etat et de la résurgence de la dictature sous couvert du présidentialisme. En réponse à cela, BCE démonte tout le meccano constitutionnel de la deuxième République.
Il s’y prend avec doigté comme le lui recommandait Bourguiba, son précepteur. Dans une démo d’ingénierie politique, il souligne que la Constitution laisse le leadership au président, et l’exécutif au chef du gouvernement. En cela elle a délimité le territoire de chacun, interdisant le chevauchement de compétences.
Mais la tentation de prédation est toujours présente. Il faut qu’à son installation le système ne prenne pas un faux départ. Il garantit qu’il veillerait à instituer, dans les faits, l’éthique démocratique à son lancement, au point qu’il sera difficile d’y contrevenir par la suite. C’est une question de discipline qui doit être là au premier coup. Et voilà BCE qui deale en direct avec l’opinion: “moi président, je ne désignerai pas le chef du gouvernement. Il est le CHEF pour conduire la mission“. Appuyant son affirmation, il rajoute sur un ton coquin: “s’il avait été là, Bourguiba aurait voté pour moi“.
BCE gardien du temple
Patriote sincère, homme d’Etat attaché aux valeurs républicaines sur fond de foi musulmane, homme politique loyal, tout son parcours et, en particulier, les circonstances de la démission de son gouvernement à la suite du scrutin du 23 octobre 2011, sont là pour conforter cette opinion qu’il met toujours en avant. BCE fait de l’opinion le “Grand Jury” du scrutin présidentiel à venir. Si les Tunisiens l’élisent, il agira en gardien du temple, intègre et bienveillant.
En formalisant les grands défis de la Tunisie, il titille la fibre nationaliste chez le bon peuple, irrité et lésé par le “détricotage“ de l’Etat. Que demande le peuple si ce n’est ce préalable urgent de ravalement de l’Etat et de son lustre, pour lequel BCE est le mieux placé. Le reste suivrait, en bonne logique.
BCE ne cesse de rappeler que la souveraineté revient au peuple. Ce même peuple, qui par le sit-in du départ s’est réapproprié le pays, peut revenir dans la partie si jamais la stabilité de l’Etat était en jeu. De ce fait, BCE prive Ennahdha -qui soutient que rien ne se fera sans son aval-, de l’usage de son tiers bloquant dans la future Assemblée des représentants du peuple, pour le gêner dans son œuvre de restauration nationale.
Tailleur de première bourre, BCE s’est coupé un habit présidentiel à sa mesure lui laissant les coudées franches. C’est de bonne guerre.
Se servant d’une notoriété à son zénith, il conquiert une large audience chez le bon peuple, encore attaché à l’image du président-père de la nation.
Le penchant populaire se traduira-t-il, le 26 novembre, par un vote en sa faveur? De même que le chantait Jacques Brel, “si ce n’est certainement, c’est quand même peut-être“.