Est-ce du patriotisme que de saigner à blanc un pays mis à genoux par plus deux ans de pouvoir exercé par la Troïka et durant lesquels aussi bien l’Administration et la qualité de sa gestion que les finances publiques ont été marquées au fer rouge? Est-ce envisageable alors que le gouvernement vient de couper dans les salaires des employés des secteurs public et privé pour limiter les dégâts du déficit public de pousser l’assurance jusqu’à exiger le démarrage immédiat des négociations sociales avec un gouvernement sur le départ? Gagner la sympathie et l’allégeance de ses adhérents mérite-t-il de ruiner l’économie du pays, de mettre à plat les caisses de l’Etat et de donner le coup de grâce à une Tunisie qui risque la banqueroute?
Est-ce comme cela que feu Farhat Hached, Mohamed Ali El Hammi et Habib Achour voyaient leur rôle en tant que syndicat? Eux qui ont, pendant des années, couvert leur lutte pour la libération nationale de revendications syndicales pour mettre à mal les colons français. Ces militants historiques qui se sont sacrifiés pour construire la Tunisie verraient-ils, s’ils étaient vivants, d’un bon œil leur édifice s’effondrer par leurs héritiers censés préserver les acquis de l’indépendance?
S’attribuer un rôle éminemment politique accorde-t-il à l’UGTT, en premier lieu, et aux autres syndicats de tenir en otage aussi bien le gouvernement que l’économie sous prétexte de défendre les intérêts des travailleurs alors qu’ils font monter les surenchères au risque de faire perdre à ces mêmes travailleurs qu’ils protègent leurs postes d’emplois?
Défendre les intérêts de ceux qui travaillent? Quoi de plus normal si c’est dans le cadre de la loi, dans le respect des conventions signées et des engagements pris et celui des intérêts de l’entreprise ou de l’établissement lui-même. Mais la réalité n’est pas ce qu’elle semble être, elle est tout autre et des fois les travailleurs eux-mêmes deviennent sujets à des surenchères non pas syndicales mais politiques!
Est-ce le dicton de «iyhini ilyoum w oktolni ghoudoua» (Laissez-moi vivre aujourd’hui et tuez-moi demain si ça vous chante) qui prévaut aujourd’hui?
Car le gouvernement partant peut signer autant de conventions qu’on le veut, mais le prochain pourrait-il les honorer au risque de voir le pays de nouveau mis à feu et à sang?
Des grèves injustifiées et une économie épuisée
Plus de la moitié des grèves enclenchées cette année ne sont pas légales, ce qui a épuisé l’économie. A ce jour, les dégâts sont énormes et ceci statistiquement parlant.
Ainsi, pendant les 10 premiers mois de 2014, le nombre de grèves dans le secteur privé et les établissements publics à caractère commercial s’est élevé à 16% par rapport à 2013 -même s’il y a eu 22% de moins des entreprises concernées touchées les grèves. Ont-elles été délocalisées, ont-elles fermé leurs portes? La question mérite d’être posée.
Le nombre des grévistes a augmenté de 105% par rapport à 2013 et de 82% par rapport à 2012, tout comme il y a eu une hausse de 12% du taux de participation aux grèves atteignant les 58% par rapport à 2012.
Le taux de jours de travail perdus a progressé de 72% par rapport à 2013 ,ce qui est dû entre autres au dépassement d’au moins une journée des délais prévus des grèves. Ceci a concerné des sociétés de service touchant directement aux intérêts des citoyens comme la STEG, Tunisie Télécoms, la CNRPS et la CNSS.
L’économie tunisienne en stand-by ou même en régression depuis le 14 janvier a dû supporter cette année 441 grèves qui ont touché 265 établissements et auxquelles ont participé 73.881 employés à hauteur de 54% du nombre total des travailleurs.
202.384 jours de travail ont été ainsi perdus pour le pays. Est-ce ainsi que les syndicats expriment leur solidarité et leur attachement à la défense des droits des travailleurs et surtout leur souci de ne pas leur faire perdre leurs emplois?
Même la légalité des grèves n’a pas été respectée! 203 parmi les 398 observées, soit 54%, n’était pas légal alors qu’en 2013 58% l’étaient. Et une nuance de plus, nous ne parlons pas de légitimité dans un pays en reconstruction.
31% soutiennent les grévistes non par conviction mais par solidarité
Parmi les principales raisons invoquées pour justifier les grèves, figure l’amélioration des conditions du travail et des salaires (44%), et fait risible, 31% soutiennent les grévistes non par conviction mais par solidarité alors que 12% appellent à l’amélioration du climat du travail, ce qui est contraire à ce qu’on pense très important.
Nous n’avons jamais vu un syndicat défendre la qualité du travail ou encore celle du produit consommé au national ou à l’international. Pire, dans un secteur vital comme celui de l’éducation nationale, le syndicat défend aveuglément le corps enseignant aux dépens de la qualité de l’enseignement reçu par notre progéniture ou celle de la formation pédagogique et de l’exercice même de l’enseignant.
Résultats: les élèves ne respectent plus le corps enseignant et n’ont plus confiance en lui, les parents qui ont les moyens se serrent la ceinture pour inscrire leurs enfants dans des établissements privés et ceux qui n’en ont pas se saignent à blanc pour leur payer des cours particuliers. Les premières victimes du zèle du syndicat de l’enseignement secondaire, l’élève et ses parents. Ses parents qui peuvent être eux-mêmes des ouvriers ou des employés qu’un syndicat comme l’UGTT défend à corps et à cri mais sans en être conscient condamne leurs enfants à la médiocrité ambiante d’un corps enseignant indiscipliné et d’une éducation à la dérive.
Est-ce comme cela qu’on construit un pays? N’est-ce pas en établissant des règles qui doivent être respectées par les employés et les employeurs et servir en premier lieu les intérêts du pays? Où est parti le contrat social signé entre le gouvernement, l’UGTT et l’UTICA? Où sont passées les promesses de l’UGTT de protéger l’économie de s’effondrer et celles de l’UTICA de veiller au respect des engagements pris par l’entrepreneuriat pour accorder leurs droits aux travailleurs?
Des secteurs vitaux touchés par les grèves anarchiques
Les secteurs économiques touchés par les grèves sont ceux-là même qui ont apporté pendant plus d’une décennie le plus de devises au pays. A titre d’exemple, le textile et les chaussures à hauteur de 20%, celui des industries mécaniques et électroniques (18%) sans oublier les services (21%).
Les zones les plus touchées par les grèves sont celles de Sfax (17%), Ben Arous (15%) et Zaghouan (9%). Ceci expliquerait le ralentissement des investissements en Tunisie en attendant une stabilité sociale douteuse pour le moment et la perte de confiance des donneurs d’ordre étrangers dans le site Tunisie. Les plus frileux sont principalement les opérateurs dans le secteur aéronautique après le coup dur d’Aérolia. Un grand bravo à adresser au syndicat de Ben Arous qui a promu le site Maroc aux dépens de celui de son pays.
Les revendications syndicales systématiques : la raison de vivre des syndicats
D’ailleurs aujourd’hui, investir en Tunisie en présence de syndicats aussi peu conscients de l’importance d’une trêve sociale, c’est revenir à aller sur place découvrir si le triangle des Bermudes existe ou pas au risque de se voir disparaître de la surface de la terre…
Les dirigeants des établissements publics et ceux du secteur privé devraient se doter de psychothérapeutes sis à leurs locaux pour prévenir les risques de dépression nerveuse ou encore ceux des infarctus. Car rien que les négociations avec les syndicats pour cause de préavis de grève, au nombre cette année de 666, exigent des nerfs d’acier, un temps précieux et beaucoup d’énergie qui aurait pu être dépensée dans la création de richesses. Discussions que les uns et les autres savent stériles au vu de la conjoncture économique difficile par laquelle passe le pays. Mais comme l’a expliqué à une consœur un grand syndicaliste «Madame, vous nous demandez de passer outre la raison même de notre existence? C’est notre manière à nous de dire aux employeurs et aux travailleurs que nous sommes là».
Pourtant, pour un petit laps de temps, c’est ce dont la Tunisie a besoin. Ce qui ne doit pas être interprétée comme une atteinte aux droits des travailleurs mais comme la prière d’une patrie, malade et qui veut entamer sa convalescence et a besoin de tous ses enfants, syndicats compris. Elle les appelle à ne pas menacer son économie, ne pas alarmer les créateurs de richesses et ne pas effrayer les investisseurs.
La Tunisie appelle les patriotes que les syndicats prétendent à s’insérer dans le processus de construction sans franchir les lignes au-delà desquelles ses équilibres fondamentaux virent au rouge.
L’UGTT, qui s’est octroyée un rôle politique important, se doit aujourd’hui de voir plus global, en politique, et ne pas se soumettre aux mouvements de révolte des fois injustifiés de ses bases. Car il lui revient à elle, en tant que leader, de ne pas entrer dans le jeu des surenchères et d’imposer les lignes à suivre pour ses adhérents.
Sauf si ce sont les bases qui conduisent la Centrale, auquel cas, laissant la rue, les sit-in, les manifestations sauvages décider de l’avenir de la Tunisie.
Mais l’histoire de notre pays nous a appris que tout abus a une fin et que tous les arrogants l’ont payé cher. En témoigne la chute de ceux qui se croyaient les plus forts, à commencer par Ben Ali et Ennahdha encore plus rapidement. L’UGTT ainsi que les autres syndicats qui veulent se mettre à son niveau deviendraient-elles les victimes de leur propre arrogance? Et verrons-nous en Tunisie bientôt un nouveau diktat, celui des syndicats?