à Moscou (Photo : Alexander Utkin) |
[13/11/2014 15:23:26] Moscou (AFP) Les Russes, qui ont craint de revivre les traumatisantes crises monétaires de 1998 ou 2008, poussent un soupir de soulagement avec le répit observé sur le marché des changes, qui pourrait se révéler de courte durée vu le regain de tensions en Ukraine.
Le plongeon de près de 10% du rouble en l’espace de quelques jours la semaine dernière a laissé les Russes sonnés et donné une tournure dramatique au déclin de la monnaie. Au total, elle a perdu le quart de sa valeur depuis le début de l’année sur fond de crise ukrainienne, aggravée récemment par la chute des cours du pétrole.
“J’ai eu peur”, reconnaît Natalia, une Moscovite de 26 ans. “Au début, j’ai pensé qu’il s’agissait de spéculation et que tout allait se corriger. Mais maintenant l’incertitude est grande”.
Cette cadre commerciale raconte avoir voulu convertir une partie de ses économies en devises étrangères pour les protéger d’une perte de valeur, avant de se raviser quand la chute du rouble s’est calmée. Et maintenant? “Aucune idée”, confie-t-elle, persuadée que la crise n’est pas finie.
Des files d’attente devant les distributeurs de billets, des bureaux de changes à la peine pour répondre à la demande de devises: sans atteindre un caractère massif, ces informations ont fait craindre un mouvement de panique et une entrée du rouble dans une spirale baissière échappant à tout contrôle.
In extremis, la banque centrale, soutenue publiquement par président Vladimir Poutine, semble avoir éteint l’incendie en clarifiant sa politique et en avertissant les spéculateurs d’interventions chocs si le système financier se trouvait menacé. Le rouble s’est repris, loin de reprendre tout le terrain perdu la semaine dernière.
– Ménages pessimistes –
“La Russie est passée à un cheveu d’une crise monétaire de grande ampleur”, estime l’économiste Chris Weafer, du cabinet Macro Advisory. “Mais des menaces majeures demeurent”.
La Russie reste visée par des sanctions sans précédent contre son économie et notamment son secteur bancaire. Les prix du pétrole, qui assure avec le gaz la majorité des rentrées fiscales du pays, sont obstinément orientés à la baisse. Le rouble n’a pas remonté suffisamment pour enrayer la flambée des prix actuelle (l’inflation dépasse 8%).
Crise ukrainienne, chut des cours du pétrole: “aucune des raisons (pour la chute du rouble, ndlr) n’a disparu, ce qui veut dire que le rouble va continuer à baisser”, a prévenu Igor Nikolaev, directeur de l’institut économique FBK sur le site d’information RBK.
“Préparez-vous à ce que les turbulences économiques ne s’arrêtent pas de sitôt”, a-t-il ajouté.
Les ménages, s’ils continuent d’accorder une confiance record en Vladimir Poutine, ont rarement été aussi pessimistes sur l’évolution de leur niveau de vie, à en croire enquêtes d’opinion et indicateurs économiques.
Les derniers jours ont ravivé des souvenirs douloureux de la période post-soviétique et surtout le défaut de paiement de la Russie à l’été 1998, accompagné de faillites bancaires en série et d’un effondrement du rouble. Les images de foules massées devant des banques avec l’espoir de récupérer les dépôts, les économies qui ne valent plus rien presque du jour au lendemain, restent gravés dans les mémoires.
Dix ans plus tard, le pays avait subi de plein fouet les effets de la crise financière mondiale qui avait vu le pétrole perdre les trois quarts de sa valeur: le rouble avait chuté en six mois de près de 40% face au dollar et le produit intérieur brut de près de 8%.
Mais par rapport à ces deux crises, suivies d’un vigoureux rebond économique, “la différence clé, c’est le facteur politique”, souligne M. Weaver, relevant qu’aucune solution n’est en vue dans l’Est de l’Ukraine.
Dans tous les cas, l’horizon est noir pour la Russie, dont l’économie se trouvait déjà en perte de vitesse avant la crise géopolitique.
La croissance a déjà ralenti à 0,7% sur un an au troisième trimestre, selon des chiffres publiés jeudi. Et aussi bien les autorités que les économistes préviennent que le pire est à venir.
“La récession qui menace sera moins violente mais plus longue qu’en 2008-2009”, a prévenu dans une note Alexandre Morozov, économiste chez HSBC. “Cette fois, nous assistons à une récession structurelle (…) sans porte de sortie rapide et simple”.