En Ukraine, conflit ou pas, le secteur du jeu vidéo demeure florissant

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éo Frogwares, basée à Kiev (Photo : Sergei Supinsky)

[19/11/2014 12:05:59] Kiev (AFP) Avec ses cartons de pizza vides et ses tasses de café jonchant les bureaux de jeunes développeurs barbus, Frogwares ressemble à toutes ces prospères entreprises californiennes du jeu vidéo même si, vu de Kiev, le Pacifique semble bien loin.

Malgré le bruit des canons qui tonnent inlassablement dans l’est de son territoire, l’Ukraine entretient une industrie du jeu florissante, dont les retombées financières sont bienvenues dans une économie ravagée.

Forts du succès rencontré chez les critiques par le jeu “Sherlock Holmes: Crimes and Punishments” lors de sa sortie en septembre, les 80 employés de Frogwares planchent actuellement sur une suite centrée sur le célèbre détective londonien.

Bien que la virtualité victorienne du jeu soit à 1.000 lieues du conflit sanglant dans le bassin minier du Donbass, une référence à la crise ukrainienne y a été glissée sous la forme d’un “splash screen”, une fenêtre d’attente qui rend hommage à la “centurie céleste”, ces protestataires pro-européens tués en février sur le Maïdan à Kiev.

“Quand (la contestation sur) le Maïdan a commencé, beaucoup de membres du studio s’y sont impliqués”, explique Wael Amr, le patron français de 39 ans. “On a réfléchi sur une façon de remercier les gens qui ont donné leur vie sur le Maïdan (…) et on a opté pour le +splash screen+”.

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à Kiev (Photo : Sergei Supinsky)

Même si le distributeur en Russie a, du coup, refusé de commercialiser le jeu là-bas et dans d’autres ex-républiques soviétiques, Frogwares n’a pas transigé. Le jeu est toutefois désormais disponible en Russie par téléchargement.

Au-delà, le conflit a eu peu d’impact sur Frogwares, confie Wael Amr, vêtu d’un sweat à capuche. Mais “bien sûr, il y a une pression constante vu qu’on ne sait pas ce qui va se produire demain”, ajoute-t-il.

L’Ukraine s’est fait un nom dans les jeux vidéo grâce à un système éducatif qui – legs de la période soviétique – fait la part belle aux maths et à l’ingénierie, et à une main d??uvre relativement bon marché.

– Escalade synonyme d’exode –

L’industrie ukrainienne compte à son actif Stalker, un jeu de tir à la première personne qui plonge le joueur dans la zone touchée par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

Certains de ses responsables avouent aujourd’hui leurs incertitudes face au conflit dans l’Est derrière lequel l’Occident voit la main de la Russie, ce que Moscou dément.

Si les grands noms comme le français Ubisoft ont encore des bureaux à Kiev, l’ukrainien 4A Games a déménagé son siège vers Malte en mai, ne gardant qu’un studio dans la capitale ukrainienne.

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à Kiev, le 12 novembre 2014 (Photo : Sergei Supinsky)

Directeur marketing de Vostok Games, un autre grand nom, Oleg Iavorski confie que l’éventualité d’un départ a été examinée, puis écartée.

“A Kiev, c’est calme mais on garde constamment un ?il sur l’actualité”, dit-il.

Blogueur ayant travaillé 20 ans dans l’industrie du jeu, Serguiï Galionkine prédit la relocalisation de certaines entreprises si la situation dans l’Est devait s’envenimer.

“La plupart des gens que je connais ont un plan B”, affirme-t-il. “Ils sont prêts à plier bagage mais ce n’est pas comme s’ils allaient partir dès demain”.

Les jeux vidéo s’inscrivent dans un secteur informatique plus large qui pèse plusieurs milliards de dollars en Ukraine.

Patron de Ciklum, poids lourd du logiciel avec 2.500 employés, le danois Torben Majgaard dit avoir dû fermer un des sept sites du groupe, celui de Donetsk, bastion de la rébellion prorusse depuis le début des hostilités en avril.

Dans l’ombre des oligarques qui ont bâti leur fortune dans le gaz et l’électricité, le secteur informatique peut contribuer à redresser l’économie du pays et enrichir la classe moyenne, estime M. Majgaard.

“Je considère clairement les technologies de l’information comme un secteur qui peut vraiment aider l’Ukraine au cours de la prochaine décennie”, souligne-t-il.

Beaucoup dépendra de l’évolution du conflit. Une escalade pourrait être synonyme d’exode.

“Dans l’industrie de création, il suffit de prendre son portable et sa famille et d’aller chercher un boulot à l’étranger”, résume M. Galionkine.