Une course effrénée vers l’investiture suprême. Pourtant, la nouvelle Constitution tunisienne a privé le président de la République de presque toutes ses prérogatives, lui laissant, et non sans l’accord du chef du gouvernement, les volets sécuritaires et diplomatiques.
Quel pourrait être le rôle du futur président de la République dans une Tunisie affaiblie économiquement, absente à l’international, déchirée par les mouvances extrémistes de droite comme de gauche et menacée par le terrorisme?
Des questions auxquelles répond ci-après l’ancien bâtonnier, candidat indépendant à l’élection présidentielle, Abderrazek Kilani.
WMC : Quelle est votre vision de votre mission en tant que possible futur président et quel pourrait être votre apport dans ce processus transitionnel qui se perpétue?
Abderrazek Kilani : Il s’agit tout d’abord de rétablir l’autorité et le prestige de l’Etat dont les institutions ont été affaiblies par l’instabilité entachée des troubles sociaux et des revendications alors que les menaces terroristes persistent. Dans ce cadre, il faudrait doter nos forces de sécurité et notre armée des moyens matériels logistiques nécessaires mais aussi les soutenir moralement en étant solidaires avec elles. Ce sont les garants de la sécurité des citoyens et des frontières, ce qui représente pour moi une priorité.
Un Etat de droit revient également à réformer le système judiciaire, l’administration et les médias.
Il faudrait également organiser au plus vite les élections des conseils municipaux et régionaux pour mettre de l’ordre dans nos villes empoisonnées par les ordures ménagères et préserver nos concitoyens qui vivent dans un environnement catastrophique.
Parmi nos priorités figurent également l’organisation d’un dialogue national pour débattre des moyens permettant de résorber le chômage ainsi que de la mise en place d’une stratégie efficiente pour le développement dans les régions défavorisées.
Nous comptons prendre des mesures urgentes pour les familles pauvres, convaincre les acteurs politiques et sociaux à observer une trêve de solidarité nationale pendant 2 ans pour affronter les défis économiques sociaux et sécuritaires.
Comment voyez-vous votre rôle en tant que garant de l’unité nationale et de la sécurité du pays?
En étant sur le terrain à l’écoute des citoyens. En les persuadant d’être patients et en les appelant à consentir des sacrifices et se mettre tous au travail.
Je plaiderais également pour un élan de solidarité nationale visant à inciter nos compatriotes à suspendre les revendications d’augmentation des salaires pour les revenus moyens et respectables et j’accorderais l’attention nécessaire aux familles démunies.
Etre une personnalité indépendante au-dessus des conflits et querelles politiques et un acteur principal dans tout le processus révolutionnaire avant et après la chute du régime, donc proche du peuple et connaissant parfaitement ses problèmes et préoccupations, peut rassembler, convaincre et mettre tout le monde d’accord sur la priorité et la nécessité d’un grand élan de solidarité nationale.
La remise sur les rails de la Tunisie ne pourrait se faire que par une stabilité sociale réelle, pensez-vous pouvoir influer sur le cours des choses à ce niveau?
Nombre de mesures devraient être prises et que j’essayerais d’initier dans le cadre de mon mandat.
Il s’agit en fait: de régulariser le système social existant en stimulant le rôle de l’Etat au niveau de la répartition des richesses tout comme je travaillerai sur différents fronts tels:
– réformer le système fiscal en instaurant plus d’équité et de justice dans l’acquittement du devoir fiscal et une simplification de la procédure de recouvrement de l’impôt (unifier tous les textes dans un seul code);
– responsabiliser tout le monde pour s’acquitter de l’impôt comme devoir national et apporter plus d’équité et de justice dans la répartition, prendre des mesures strictes pour assurer le contrôle des prix des produits de première nécessité;
– planifier les régions selon leurs besoins, assurer la décentralisation, réglementer les domaines vitaux telle que la santé où il faudra consacrer l’égalité à l’accès, assurer une meilleure qualité de service et instituer un système d’évaluation et de contrôle;
– unifier les régimes d’assurance maladie et assurer une bonne gestion des caisses.
– résoudre le problème du chômage et soutenir les familles nécessiteuses. A savoir accorder l’attention nécessaire aux problèmes du chômage des jeunes en relation étroite avec l’extrémisme et le terrorisme car c’est de la faiblesse de l’Etat, des conditions précaires des gens et du chômage des jeunes que se nourrissent le terrorisme et l’extrémisme.
– être tous solidaires avec nos forces de sécurité et notre armée pour assurer la sécurité du citoyen et de nos frontières.
– veiller au respect de la dignité du citoyen et des droits de l’Homme par les forces de l’ordre.
En garantissant un cadre adéquat pour une relance économique et principalement en étant actif sur les plans sécuritaire et social, la Tunisie pourrait reprendre assez rapidement sa dynamique économique.
Quelle est votre approche des relations de la Tunisie avec aussi bien ses proches voisins qu’avec l’international? Quelle serait, d’après vous, la ligne à suivre pour que notre pays récupère son positionnement à l’international et revalorise une image ternie par près de 4 années d’erreurs d’appréciation?
Il est indispensable pour un pays comme le nôtre de renforcer ses relations avec les pays frères et amis afin de lutter ensemble contre le terrorisme menaçant la stabilité et la paix dans le monde. Respecter le principe de la non-ingérence, préserver nos intérêts nationaux et ceux de nos citoyens et créer le climat politique propice pour assurer véritablement la réalisation de l’unité maghrébine, n’en sont pas moins importants. Tout comme le fait d’axer notre diplomatie sur l’économie et le commerce pour vendre nos produits et attirer les investisseurs ainsi que le rapatriement de l’argent acquis illicitement et se trouvant à l’étranger.
Il est une cause que je défendrais à l’international, à savoir celle du peuple palestinien et son droit à un Etat sur les territoires occupés.
Pour un poste sans grandes prérogatives, la course est vraiment effrénée, qu’est-ce qui motive votre choix d’être président plutôt que chef de gouvernement à titre d’exemple?
S’il est vrai que les principales prérogatives du président de la République selon la Constitution sont la défense, les relations extérieures et la sécurité nationale. Le président de la République, seule personnalité élue au suffrage universel et directement par le peuple et donc ayant une légitimité populaire et une force morale, est le garant du respect de la Constitution selon les termes mêmes de cette Constitution. Il est donc le garant du respect des libertés et tous les droits énumères dans la Constitution: droits économiques, droits sociaux (garantir le travail pour les chômeurs, le développement dans les régions démunies, la santé, la protection sociale, etc.).
Le président de la République a donc le devoir de suivre le travail du gouvernement et de le rappeler à chaque fois qu’il y a carence ou défaillance dans son travail de la nécessité de respecter et assurer les droits économiques et sociaux garantis par la Constitution.