appui (Photo : Rizwan Tabassum) |
[19/11/2014 18:56:46] Paris (AFP) Affaire Madoff, Kerviel: le milieu de la finance a été terni par plusieurs scandales. La profession attirerait-elle des gens peu scrupuleux? Ou la culture d’entreprise des banques favoriserait-elle les comportements malhonnêtes? Une équipe d’experts suisses a voulu en avoir le coeur net, expérience à l’appui.
“Nous avons tous entendu parlé des nombreux scandales dans le secteur bancaire durant la dernière décennie”, a souligné Ernst Fehr, de l’Université de Zürich, un des auteurs de l’étude publiée mercredi par la revue scientifique britannique Nature.
Certains commentateurs ont attribué ces scandales à la culture d’entreprise du secteur financier, mais jusqu’ici, “il y avait peu de preuves”, a relevé ce professeur d’économie. Avec ses collègues Alain Cohn et Michel Maréchal, il a donc mené une expérience pour tenter d’y voir plus clair.
“Nous avons adopté une nouvelle approche, inspirée de la théorie économique de l’identité, selon laquelle les individus ont de multiples identités sociales, basées par exemple sur le sexe, l’origine ou la profession”, expliquent les chercheurs.
Leurs résultats montrent que les employés du secteur bancaire ne sont pas plus malhonnêtes que les autres, mais que la culture d’entreprise dans ce secteur peut favoriser un comportement malhonnête.
Pour leur expérience, les chercheurs ont recruté 200 personnes travaillant dans la banque (courtiers, gestionnaires de portefeuille, administratifs…). 128 appartenaient à une grande banque internationale et 80 à d’autres établissements financiers, dont les chercheurs n’ont pas révélé le nom.
Tous ont été invités à réaliser, en privé, dix tirages à pile ou face et à en communiquer le résultat en ligne. Pour chaque tirage, ils pouvaient gagner environ 20 dollars (16 euros), selon que la pièce tombait sur pile ou sur face. Ils étaient informés à chaque fois du côté “gagnant”, une incitation à tricher.
– Une méthode ‘robuste’ –
Avant de se prêter à cette expérience, réputée mesurer de façon fiable un comportement malhonnête, la moitié des participants ont été soumis à une sorte de “mise en condition” insistant sur leur identité professionnelle.
Ils ont dû répondre à un court questionnaire en ligne, avec sept questions en rapport avec leur activité. Par exemple: “Dans quelle banque travaillez-vous?”, “Quelle est votre fonction dans cette banque?”.
Pour le second groupe, les questions étaient sans rapport avec leur profession. Par exemple: “Pendant combien d’heures par semaine regardez-vous la télévision?”
Ce groupe, dit “contrôle”, a fait état d’un tirage gagnant dans 51,6% des cas, une proportion proche de celle normalement attendue (une chance sur deux) quand on tire à pile ou face.
“Ce résultat, qui contraste avec la perception du public, montre que les employés de banque ne sont pas plus malhonnêtes que les autres”, a indiqué Michel Maréchal.
En revanche, le premier groupe, dont on avait fait ressortir l’identité professionnelle, a fait état d’un tirage gagnant dans 58,2% des cas.
“Une proportion significative d’employés du secteur bancaire a eu un comportement malhonnête quand on lui a rappelé sa profession”, a commenté Michel Maréchal.
Les chercheurs ont reproduit l’expérience avec des employés d’autres branches professionnelles, mais n’ont pas retrouvé cette différence.
Marie-Claire Villeval, du CNRS (Lyon), qui signe un éditorial sur cette expérience dans Nature, a expliqué à l’AFP que la méthode d’économie comportementale employée “est tout à fait robuste, validée par des prix Nobel”.
Selon la chercheuse, les résultats traduisent sans doute un relâchement de l’éthique dans la culture d’entreprise du secteur financier, “au profit de valeurs matérialistes”.
“On a peut-être oublié le principe de base, qui est que l’argent, c’est la confiance”, ajoute-t-elle.
Alain Cohn rappelle, de son côté, que “plusieurs experts et autorités de contrôle suggèrent la mise en place d’un serment professionnel dans le secteur bancaire, sur le modèle du serment d’Hippocrate des médecins”.