é Keio et gourou de la nouvelle économie, le 22 septembre 2014 à Tokyo (Photo : Karyn Poupée) |
[20/11/2014 11:09:28] Tokyo (AFP) “Les entreprises manufacturières japonaises n’ont pas de vision internationale”: Takeshi Natsuno, enseignant de la prestigieuse université Keio, ne mâche pas ses mots. Pour cet ex-dirigeant de NTT Docomo et gourou de la nouvelle économie, les sociétés high-tech nippones courent à la faillite à cause d’un modèle totalement dépassé.
“Du temps de la haute croissance (années 1950 à 1970), l’emploi à vie, la progression à l’ancienneté et le recrutement en masse à la fin des études étaient les clefs de la réussite économique du pays”, rappelle M. Natsuno, connu pour avoir été le créateur de l’internet mobile (i-mode) en 1999 chez le premier opérateur nippon de services cellulaires.
Les firmes japonaises ont depuis conservé l’habitude d’engager chaque année à la rentrée d’avril des centaines d’étudiants frais émoulus sélectionnés avant la fin de leur cursus dans les meilleures universités.
“Mais il faut en finir avec cette façon de procéder”, s’énerve M. Natsuno.
“Car ces gars d’une vingtaine d’années inexpérimentés travaillent côte à côte dans la même société pendant plus de 30 ans avant d’atteindre des postes de direction, à plus de 50 ans: ils ont tous grandi ensemble, ils mangent tous dans la même gamelle, pendant trois décennies, tous la même chose, ils ont tous la même culture, n’ont aucune vue de l’extérieur”, poursuit-il.
“Et c’est comme ça à peu près partout. Le recrutement en milieu de carrière est une exception”, regrette-t-il.
Selon lui, il résulte de ce système fermé un aveuglement destructeur.
“Quand Apple a sorti son baladeur iPod, Sony l’a perçu comme un Walkman à disque dur (venant juste remplacer la cassette, le CD ou le MD), mais pas comme un lecteur de fichiers permettant le téléchargement de musique en ligne, ce qui était pourtant la véritable innovation qui allait tout changer”.
– Des grenouilles dans un puits –
Le réquisitoire n’est pas fini: “Pour les Japonais, la diversité égale employer des femmes. Les étrangers, les personnes venant d’horizons différents sont trop souvent hors de leur champ de prospection”.
“Au Japon, on répète pourtant aux enfants dès leur plus jeune âge, un proverbe qui dit qu’une grenouille au fond d’un puits ne voit pas l’immensité de l’océan”.
Malgré cela, “toutes les entreprises des mêmes secteurs se disputent entre elles le marché japonais, ignorant l’extérieur”, déplore-t-il.
Il existait au départ une douzaine de fabricants de mobiles au Japon, pionniers mondiaux du secteur, qui monopolisaient le marché nippon. Aujourd’hui, faute d’avoir réussi à l’étranger, NEC, Panasonic, Hitachi, Casio, Sanyo ont jeté l’éponge et ceux qui restent n’ont que des miettes de la clientèle internationale.
En cause selon M. Natsuno, une inadaptation au changement de modèle économique induit par internet.
Face à des sociétés américaines comme Google, qui offre gratuitement son système d’exploitation (OS) pour en assurer une large adoption par de nombreux fabricants (ce qui en fait un standard de facto), “les Japonais cherchent trop souvent à sélectionner leurs clients et à gagner de l’argent dès le départ en proposant leurs technologies à prix d’or”.
“Si on veut diffuser une technique à très grande échelle, dans un premier temps, il faut prendre des risques: pourquoi ne pas la donner pour lui garantir une adoption massive génératrice de profits à long terme ?”.
“A moins que ne change radicalement leur façon de procéder, dans 20 ou 30 ans, les entreprises manufacturières japonaises seront sur la paille et le Japon avec elles”, alerte-t-il.
Selon lui les actionnaires, aujourd’hui bien trop peu revendicatifs, doivent pousser les patrons à réagir sans attendre que le fond ne soit atteint.
“Pour l’instant, il y a encore de l’argent plein les caisses et donc pas de sens de l’urgence, mais cela ne va pas durer”.
Pour M. Natsuno, la situation actuelle est d’autant plus regrettable que les entreprises japonaises ont le potentiel pour rivaliser sur la scène internationale: “elles ont des technologies de pointe, un personnel qualifié, honnête et discipliné, et une trésorerie bien garnie”.