La petite agriculture, source de revenus pour une part importante de la population et principale activité exercée en milieu rural, en Afrique du Nord, “subit les mauvais impacts de politiques étatiques peu efficaces et manquant, pour la plupart, de ciblage et de visions prospectives”. C’est ce constat dressé par des économistes de la Banque africaine de développement, lors d’une réunion organisée, mardi 18 novembre à Tunis, par le département en charge de la région de l’Afrique du Nord, de la banque.
Au cours de cette rencontre, Hafez Ghanem, expert auprès de l’institution africaine et ancien sous-directeur général de la FAO, a fait une présentation intitulée: “La production agricole, sécurité alimentaire et valeur ajoutée en Afrique du Nord”.
Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la série de réunions sur les notes de politiques en Afrique du Nord, organisée mensuellement par la BAD.
53,5% des exploitations tunisiennes sont de moins de 5 hectares
Ghanem a souligné, dans son exposé, que l’agriculture dans la région nord-africaine demeure un secteur très dépendant de l’importation, dominé par la petite agriculture et caractérisé par un morcellement des exploitations agricoles. En Tunisie, par exemple, 53,5% des exploitations sont d’une superficie de moins de 5 hectares contre 69,8% au Maroc et 98,2% en Egypte.
Cette agriculture est aussi caractérisée par un faible rendement et est dépendante de la volatilité des prix des produits alimentaires. Ceci est révélateur d’une fragilité de la situation des petits agriculteurs qui exercent, essentiellement, dans le milieu rural, où le taux de pauvreté est généralement plus élevé.
Si le taux de pauvreté est de 15,5% en Tunisie, il atteint 22,6% en milieu rural contre 9% en milieu urbain. En Egypte, ce taux se situe à 32,5%, 59,4% en Mauritanie et 14,5% au Maroc.
Dans une déclaration à l’agence TAP, M. Ghanem a indiqué que les pays de la région de l’Afrique du Nord doivent oeuvrer à soutenir les petits producteurs agricoles (la majorité exploitent des fermes de 2 hectares) “qui sont à la fois ceux qui fournissent nos besoins alimentaires et, paradoxalement, les plus pauvres dans notre région”.
“Il faut les soutenir et les aider à augmenter leur productivité et donc leur revenus, à mieux vendre leurs produits, à accéder aux marchés nationaux et internationaux et mettre en place un système de sécurité sociale pour réduire la pauvreté, améliorer la justice sociale et renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région”, a encore préconisé l’expert.
Opter pour des transferts sociaux…
M. Ghanem critique, dans ce contexte, les politiques publiques qui optent pour la subvention de produits de consommation importés tels que l’huile de colza ou de soja au lieu d’encourager la production locale de l’huile d’olive, par exemple, et, partant, aider et encourager les agriculteurs locaux.
Il a cité l’exemple du Brésil et du Mexique, où des politiques mieux ciblées ont été mises en place pour aider les familles les plus démunies en optant pour des transferts d’argent au profit de ces dernières, au lieu des subventions généralisées.
“Ceci pourrait être mis en oeuvre en Tunisie car il est facile d’identifier les familles les plus pauvres et de mettre en place un système de transfert d’argent même conditionné, par exemple à la vaccination ou à l’éducation des filles”, a-t-il expliqué.
Interrogé sur la sécurité alimentaire dans la région, il a répondu que “pour l’Afrique du Nord, il n’y a pas de problème de faim, étant donné que le seuil de la pauvreté est le plus faible (-5%) parmi les pays en voie de développement, mais la région doit planifier à long terme.
Il a évoqué, dans ce même contexte, la question de la qualité de la nutrition qui se détériore de plus en plus et qui est à la source de plusieurs maladies telles que l’obésité ou l’anémie.
Les gens consomment plus de produits riches en calories mais pauvres en minéraux et en vitamines, a-t-il relevé, insistant sur l’impératif de travailler sur la qualité de la nourriture.
A titre d’exemple, le taux d’obésité en Tunisie est estimé, selon des données de la FAO, à 23,8% contre 17,3% au Maroc, 34,6% en Egypte, 17,5% en Algérie, 30,8% en Libye et 14% en Mauritanie.
Le représentant de l’ONUDI à cette réunion a évoqué, lui, un autre problème, celui du financement de la petite agriculture. Il estime que la micro-finance, qui ne peut, selon la loi, mobiliser l’épargne, n’a pas réussi à faire des progrès en Tunisie et à soutenir le secteur agricole.
Le responsable a relevé que la recherche et les technologies ne sont pas encore bien intégrées à la petite agriculture. Il cite, aussi, l’absence d’institutions dans le milieu rural en Tunisie et le manque d’évaluation des politiques publiques dans ce domaine.
Un autre problème a été évoqué lors de ce débat, animé par Samia Mansour, économiste auprès de la BAD, et Vincent Castel, économiste pays en chef, celui de l’emploi des jeunes dans le milieu rural.
Pour les intervenants, “il y a un vide institutionnel dans le milieu rural et personne ne se charge des jeunes”. Ils recommandent plus d’organisation et de synergies pour inciter les jeunes à travailler dans l’agriculture et à créer des projets dans les milieux ruraux.