Trois experts (Tarek Souissi, Abderrazek Bouthour et Riyadh Stambouli) ont été chargés, début janvier 2014, par le juge d’instruction auprès du Tribunal de première instance de Tunis, Faouzi Oueslati, de vérifier si la signature de Hamed Nagaoui, le conseiller rapporteur du Contentieux de l’Etat (chargé de négocier avec la société ABCI) apposé au bas du procès-verbal du 31 août 2012 portant règlement amiable du litige opposant l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT), est «conforme aux lois et procédures administratives en vigueur dans ce domaine», de déterminer «la nature de ce règlement amiable, ainsi que les procédures administratives préalables et consécutives à suivre dans pareil cas», si celles-ci ont été violées, et dire, le cas échéant, «de quelle manière», et de déterminer qui sont «les personnes physiques et morales tirant profit de l’opération sus-mentionnée et l’ampleur de cet éventuel profit réalisé par chacune d’entre elles».
A toutes ces questions, les trois experts ont répondu par l’affirmative. Mais ce faisant, ils ont escamoté certaines vérités en rapport avec ce dossier. D’abord, concernant les frais d’avocat, ils se sont focalisés sur les honoraires pour la période allant du 15 décembre 2013 au 7 mars 2014 estimés à 39.102,42 euros, soit 85.352,762 dinars, et passé totalement sous silence le fait que le cabinet français assurant la défense de l’Etat tunisien avait touché depuis 2004 la bagatelle de plus de 35 millions d’euros, c’est-à-dire près de 100 millions de dinars.
Ensuite, les trois experts se sont évertués à faire porter le chapeau de l’affaire du mémorandum d’accord conclu avec ABCI au ministre des Biens de l’Etat et des Affaires foncières dans le but de blanchir le chef du gouvernement de l’époque (Hamdi Jebali puis Ali Laarayedh), alors que Webmanagercenter avait déjà démontré que ceux-ci étaient bel et bien au courant des négociations engagées puis de l’accord conclu avec ABCI (lire notre article: Affaire de la Banque Franco-Tunisienne – ABCI : Les preuves qui accusent Slim Ben Hmidane).
Selon les experts désignés par le Tribunal de première instance de Tunis, le préjudice «probable» pour l’Etat tunisien pourrait prendre plusieurs formes. La première pourrait être, d’abord, un éventuel recours de la société ABCI à un autre tribunal –le CIRDI ayant refusé d’en tenir compte, parce que s’estimant non compétente pour l’examiner- pour obtenir l’application du procès-verbal du 31 août 2012. Ce dont, note le rapport, «pourrait découler la réclamation par ABCI de la restitution de la propriété des 500.000 actions représentant 50% du capital de la BFT» et une demande de réparation du préjudice subi consécutivement du début de l’investissement le 27 juillet 1985 jusqu’au 7 juin 1989, et de cette date jusqu’à la réparation du préjudice subi par les revenus d’ABCI «en raison des formalités illégales entreprises par l’Etat tunisien».
Le rapport avance le chiffre de 160,81 millions de dollars (soit plus de 270 millions de dinars), les réparations que l’Etat tunisien serait amené à payer à ABCI au titre des pertes enregistrées et du manque à gagner.
Pourraient s’y ajouter, selon les experts, en application du jugement arbitral du 23 juillet 1987, le montant de la participation d’ABCI au capital et les bénéfices y afférents, ainsi que «le règlement de tout montant dont le lien serait établi avec le préjudice subi directement ou indirectement, et tous les frais d’arbitrage et les intérêts légaux» du début jusqu’à la fin du litige, en tenant compte d’une pénalité quotidienne qui sera déterminé par le tribunal arbitral.
Au total, l’Etat tunisien pourrait être amené, selon les estimations des experts, à payer à ABCI la somme de 900 millions de dollars, soit 1,5 milliard de dinars. «Ce qui représente le préjudice probable pour l’Etat tunisien», conclut le rapport.
Le deuxième préjudice «probable» pour l’Etat tunisien serait le règlement d’éventuelles réparations à Abdelmajid Bouden, dont les experts se disent incapables pour l’instant d’estimer le montant parce que «nous ne sommes pas au courant des critères qui vont être arrêtés pour les différents bénéficiaires de l’amnistie générale».