Le candidat du parti séculier Nidaa Tounes est sorti en tête du premier tour de la présidentielle. Mais le parti islamiste Ennahdha est toujours de la partie.
Non content d’avoir relégué à la seconde place le parti islamiste Ennahdha au Parlement tunisien il y a un mois avec sa formation Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi fait la course en tête pour la présidence du pays. Arrivé en première position avec, selon les résultats de l’instance électorale près de 40% des suffrages exprimés, BCE, qui a revêtu les habits de l’anti-Ennahdha pour en arriver-là, devance le président sortant Moncef Marzouki (33,43%). Une démarche qui a fait dire à quelques analystes que l’islam politique vivait une crise en Tunisie. Des propos hâtifs.
Le cheval de bataille emprunté par Essebsi est bien le “tout sauf les islamistes”. Sa formation politique, composite, en est d’ailleurs le reflet, elle qui allie sous l’étendard “Nidaa Tounes” à la fois des bourguibistes et des syndicalistes connus, tous opposés à Ennahdha. Beaucoup de Tunisiens ont également été séduits par la notion de “vote utile” en apportant leur soutien à Essebsi pour ne pas éparpiller les voix du camp démocrate face au “danger islamiste”.
Un slogan qui marche, et que BCE s’est empressé de scander à nouveau au lendemain du premier tour de la présidentielle, accusant lundi son principal adversaire Moncef Marzouki, d’être le candidat des islamistes et des “salafistes jihadistes”.
Mais si la rengaine a réussi à BCE et son parti, elle est loin d’avoir relégué les islamistes au fin fond du paysage politique tunisien.
En embuscade à la présidentielle
Si Ennahdha ne présente pas de candidat à la présidentielle de 2014, l’ombre de son leader Rached Ghannouchi plane toutefois sur ce scrutin aux côtés de l’autre homme fort du scrutin, Moncef Marzouki.
“Ceux qui ont voté pour M. Marzouki, ce sont les islamistes, c’est-à-dire les cadres d’ Ennahda (…). Nous avons aussi avec lui les salafistes jihadistes et nous avons avec lui les ligues de défense de la révolution, qui sont tous des partis violents”, a déclaré Béji Caïd Essebsi à la radio française RMC, en allusion aux Ligues de protection de la révolution (LPR), un groupe brutal pro-islamiste surtout actif de 2011 à 2013 mais dont on a vu certains de ses membres dans les manifestations de la campagne Marzouki.
Si le discours d’Essebsi est un peu excessif –il va jusqu’à répondre par l’affirmative au journaliste qui lui demandait si Moncef Marzouki était “à la solde des islamistes”– il n’est pas faux de tisser des liens entre le président sortant et le parti islamiste. Ce dernier a bel et bien été élu à la mandature suprême par les députés de l’Assemblée nationale constituante à la faveur d’une alliance avec les islamistes en 2011. Et si Ennahda n’a pas présenté de candidat à la présidentielle de dimanche, de nombreux sympathisants du parti ont dit vouloir voter pour Marzouki. Ce dernier, militant des droits de l’Homme séculier exilé en France sous Ben Ali, a en effet défendu l’alliance avec Ennahdha au sein de la Troïka à la tête du pays depuis la révolution, arguant du fait que celle-ci évitait une fracture du pays entre “laïcs” et islamistes. Pour lui, “Ennahdha ressemble à maints égards aux partis démocrates chrétiens en Allemagne ou en Italie après la seconde guerre mondiale (…): traditionnalistes, conservateurs, affichant leur référence à la religion”, affirme-t-il dans un ouvrage paru durant son mandat. Or, souligne-t-il, ces partis occidentaux se sont bien insérés dans la démocratie.
Force incontournable au Parlement
Par ailleurs, Ennahdha, qui a certes perdu quelques voix au Parlement, continue d’y occuper une place de choix avec 69 sièges contre 86 pour Nidaa Tounes. “Ennahdha n’a pas été défaite mais tire bien son épingle du jeu en se positionnant comme un acteur incontournable du jeu politique tunisien” commente le politologue Larbi Chouika. “Si on veut gouverner dans ce pays il faut discuter avec eux”.
Arrivé en seconde position, le parti islamiste devrait hériter de la présidence de la Commission des Finances du Parlement et possède avec ses alliés du CPR de Marzouki le tiers des députés nécessaire pour bloquer toute loi organique.
Le discours officiel de Ennahdha était d’ailleurs plutôt optimiste au lendemain des législatives. “Nous avons obtenu un bon score et sommes même en position de force”, commentait Ajmi Lourimi, membre du bureau politique d’Ennahdha. “Nous pouvons être à la fois le principal partenaire du parti arrivé en tête dans un gouvernement d’union nationale ou bien être tout à fait à l’aise dans une opposition responsable et crédible”, soulignait-il à “L’Obs” à Tunis quelques jours après le second tour.
Possibilité d’éclatement de Nidaa en cas d’accord
Une possibilité d’alliance entre Ennahdha et Nidaa Tounes au sein d’un gouvernement qui pourrait tout simplement être fatale à Nidaa Tounes. Une bonne part des membres et députés du parti sont clairement anti-islamiste et pourrait claquer la porte dans un tel cas. Une décision qui pourrait aussi couper le parti de sa base électorale puisque c’est sur le mot d’ordre “tout sauf Ennahdha” que beaucoup ont voté en faveur d’Essebsi. “Une coalition de Nidaa avec les petits partis du parlement n’amènerait Essebsi qu’à une majorité très juste, fragile. Un accord avec Ennahdha permettrait d’assoir une majorité plus forte”, explique Larbi Chouika.
Une possibilité que le numéro 2 du parti Taieb Baccouche, ancien secrétaire général de la centrale UGTT, balaye du revers de la main: “Nous ne sommes pas sur la même ligne sur les questions sociales ou sécuritaires pour ne citer qu’elles. Il n’y a pas d’entente possible avec Ennahdha”.
Une décision qu’Essebsi a reporté au lendemain de la présidentielle afin de s’assurer du soutien de son électorat anti-Ennahdha. “Car si cette alliance contre-nature entre religieux et “laïcs” est conclue ce sera catastrophique pour Nidaa Tounes.
Céline Lussato
Source : tempsreel.nouvelobs.com