Une crise institutionnelle de dernière minute semble se profiler. Un coup de théâtre imprévu et imprévisible du président sortant. Ira-t-on vers une crise politique? Le deuxième tour est-il, lui-même, en ballottage? Quel risque probable de déstabilisation du pays? On refait le match.
On a voté au premier tour de la présidentielle. Hélas, l’euphorie n’était pas au rendez-vous. On avait de l’espoir mais le cœur n’y était pas, vraiment comme à tous les autres scrutins post-révolution. Les scrutins se suivent et se ressemblent. La loi des grands nombres nous plombe par des scrutins arrache-cœurs.
Damned! Le clivage politique refait surface
On a voté avec une majorité non pas silencieuse mais blasée car elle ne se mobilise pas. Shocking! La majorité ne fait pas nombre. Un déni de démocratie? Allez comprendre.
Les jeunes, comme à chaque fois, ont joué aux abonnés absents. Leur révolution leur a été volée, soit! Ce n’est pas une raison pour qu’ils se déconnectent totalement. On a voté à frontières fermées. Le gosier serré et la peur au ventre, à cause des menaces terroristes. Quel paradoxe!
L’empreinte islamiste nous marque avec des préceptes chrétiens puisqu’on nous fait enfanter la démocratie dans la douleur absolue. Et, ceci après avoir enfreint le premier commandement puisqu’il y a eu trois assassinats politiques sous la Troïka et que les candidats sont encore sous la menace.
Et puis, les soirées électorales manquaient de panache. Elles tournaient aux joutes d’experts à cause de la menace d’interdiction des sondages. C’était byzantin et ennuyeux. On a fait jurisprudence en bravant les interdits.
Pourquoi tout doit être fait au forceps durant cette transition? A leur tour, les cabinets de sondage ont aidé à la cacophonie. S’étant bousculés en ordre dispersé, leurs fourchettes étant trop larges, ils nous ont plongés dans l’expectative. On a vu les sondages contestés par certains directeurs de campagne, puis validés, dans un geste de pis-aller.
A chaque scrutin, le même dépit. Le clivage entre théocrates et laïcs, imposé dès les premiers jours de l’ère de la transition refait surface sous une forme ou une autre. Cette fois on veut nous faire croire qu’il est géographique, opposant le sud au nord. On veut en faire une fatalité. Quel acharnement! Et, ce qui pèse par-dessus tout, c’est le concert des louanges. On est en pole position des pays qui n’ont pas la démocratie. La belle affaire. On a surtout voté sans tirer les conséquences du scrutin des législatives. C’est à se demander si le pays est gouvernable en l’état! Dans cette ambiance surchauffée vient l’initiative du président provisoire et sortant d’inviter le chef du parti arrivé en tête des législatives à désigner un chef de gouvernement. Intrigue!
Une tension constitutionnelle
Le pays traverse une situation de haute fragilité, car à la veille du basculement d’un dispositif provisoire vers des institutions démocratiques pérennes. Cette initiative tombe comme un cheveu sur la soupe. Elle vient brouiller la visibilité durement acquise en ce dernier quart d’heure sur la dernière ligne droite. Le Dialogue national avait tranché la question, le 10 novembre, en imputant cette responsabilité au futur chef de l’Etat. Le président actuel n’avait pas contesté cette résolution. Elle n’est pas contraignante, faut-il le rappeler. Mais au vu de la place occupée par le Dialogue dans la résolution des tensions politiques nationales, elle devient une prescription morale. Alors, qu’est-ce qui a bien poussé l’actuel président à transgresser la résolution du Dialogue national? Il y a le motif avancé, publiquement, de se conformer au texte de la Constitution.
Pourquoi ce conformisme soudain, se demandent les observateurs? Le parti concerné crie à la manœuvre. A coup sûr, s’il devait être contraint d’obtempérer, sous peine de voir le parti concurrent investi à sa place, il dévoilerait des cartes précieuses qui gêneraient son candidat, en l’occurrence BCE, dans son score lors du deuxième tour. Le coup est très bien ciblé, cela ne fait pas de doute. BCE, déstabilisé à coup sûr, a fait appel devant le Dialogue national lequel a reconfirmé sa position ce lundi 24 novembre et en a aussitôt informé le président de la République provisoire. Ce dernier n’a pas encore fait connaître sa position publiquement. Ayant ignoré cet avis, la première fois, il pourrait récidiver. Quel scénario possible?
Réactiver le Conseil d’Etat?
A l’évidence, si le président maintient sa position, cette tension constitutionnelle tournerait à la crise car le point de litige ne peut être tranché en l’absence d’une Cour constitutionnelle. Il ne fait pas de doute qu’elle se transformerait en crise politique car on imagine bien que Nidaa Tounes ne se laissera pas déposséder facilement de son privilège de former le gouvernement.
Cependant, Ennahdha sera contente de revenir aux affaires à la faveur de ce détour constitutionnel et ne manquera pas, en bonne logique, de s’emparer de l’occasion, c’est bien naturel. De plus, elle pourra toujours se réfugier derrière l’alibi de contribuer à empêcher l’hégémonie de Nidaa. Ce faisant, elle sera bien contrainte de renvoyer l’ascenseur et de se jeter de tout son poids dans la bataille électorale pour aider à l’élection du président sortant. Ce scénario met d’emblée la transition en ballotage.
Cette lecture n’est pas tout à fait virtuelle, nous la trouvons plausible. Bien entendu, Nidaa en arriverait à contester cette issue et le pays connaîtrait une crise politique d’ampleur.
En l’absence d’un dispositif institutionnel, est-ce que le pays pourrait réactiver l’idée du Conseil supérieur d’Etat comme cela était le cas en Algérie pour dénouer la situation si elle venait à s’envenimer?
Wait and see..