affaires dans les rues de Tokyo, le 26 novembre 2014 (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
[27/11/2014 08:20:03] Tokyo (AFP) Garder ses sous par peur de l’avenir: comme Ryo Tatemichi, un informaticien tokyoïte de 24 ans, les Japonais dépensent avec parcimonie, une mentalité “déflationniste” que les autorités ont bien du mal à éradiquer dans un archipel vieillissant peu audacieux.
Vaincre la déflation, tel était le pari du Premier ministre Shinzo Abe, arrivé au pouvoir fin 2012 muni d’une arme miracle appelée “abenomics”.
Deux ans plus tard, l’économie est retombée en récession, pour la cinquième fois depuis 2000, et les électeurs sont de nouveau convoqués aux urnes. Il y a comme un air de déjà-vu et l’état d’esprit des Nippons n’a finalement pas beaucoup changé.
“Si ça continue ainsi, les salaires pourraient baisser. Il faut donc économiser tant qu’on peut”, justifie le jeune homme qui met de côté chaque mois près d’un tiers de son salaire de 200.000 yens (1.360 euros). “Nous n’entendons parler que de dépression économique”, déplore-t-il.
Comme lui, de nombreux Japonais affichent une prudence mâtinée d’anxiété depuis bientôt deux décennies qu’on dit “perdues”.
La déflation, mal chronique dans l’archipel, puise ses racines dans l’éclatement d’une bulle financière et immobilière au début des années 1990. Pour se désendetter, entreprises et ménages ont contracté leurs dépenses. Bilan, une consommation ralentie qui tire les tarifs vers le bas. La montée de la concurrence étrangère, en particulier asiatique, a encore accentué la pression.
Au fil des ans, les politiques se sont succédé sans jamais parvenir à relancer la demande. “L’Europe doit retenir la leçon”, souligne le chercheur Atsushi Nakajima, président du RIETI (Research Institute of Economy, Trade and Industry).
“Il faut à tout prix éviter de tomber dans une période prolongée de très faible croissance et de déflation qui développe les comportements attentistes”, avertit-il, car il est ensuite très difficile d’en sortir, comme le prouve le cas japonais.
– Courbes démographiques inquiétantes –
En première ligne face à ce phénomène pernicieux, la Banque du Japon (BoJ) a modifié sa stratégie l’an passé. Elle inonde désormais les circuits de liquidités afin de diminuer le coût de l’emprunt, et stimuler tant l’activité des sociétés que les achats des particuliers. Objectif: atteindre une inflation de 2%.
érence de presse à Tokyo, le 19 novembre 2014 (Photo : Kazuhiro Nogi) |
Du coup, l’économie s’est un temps redressée et les prix ont progressé, mais trop modestement pour déclarer la bataille gagnée, d’où une nouvelle offensive fin octobre.
Car si les grandes firmes exportatrices ont profité de l’affaiblissement du yen, conséquence d’une planche à billets tournant à plein régime, elles ont rechigné pour l’heure à accroître leurs investissements et les salaires de leurs employés.
“La politique de la BoJ ne peut à elle seule résoudre le problème du Japon”, analyse Robert Dujarric, directeur des études asiatiques à l’université Temple de Tokyo. “On peut tirer sur une corde pour ralentir, mais on ne fait pas avancer en poussant avec: on a beau mettre de l’argent, ça n’incite pas forcément les gens à emprunter”.
La troisième puissance économique mondiale est en proie à “une angoisse réelle”, relève-t-il. Les Japonais sont confrontés à un insoluble problème démographique: un quart de la population a plus de 65 ans et la natalité ne prend pas le relais, avec un taux de fécondité bien faible (1,4 enfant par femme).
“Beaucoup s’inquiètent de voir de plus en plus de retraités et de moins en moins de travailleurs”, et ils économisent afin de s’assurer des revenus confortables pour leurs vieux jours, commente le chercheur.
Devant cette impasse, un économiste londonien, Gabriel Stein, prône rien moins que la distribution directe aux ménages d’une “carte de crédit BoJ”, à dépenser dans un temps limité (par exemple, d’un montant de 8.000 dollars par an et par citoyen), selon des informations de l’agence Bloomberg.
D’autres jugent que c’est faire fausse route que de partir en quête à tout prix de l’inflation.
“La déflation n’est peut-être pas très positive pour l’économie dans son ensemble, mais du point de vue du citoyen lambda, ce n’est pas si mal, car on peut s’offrir plus de choses”, résume Eiji Shimojima, un retraité de 69 ans.