La fable du scorpion et de la grenouille m’est revenue à l’esprit, ces jours-ci, en observant le paysage politique qui prévaut actuellement en Tunisie, particulièrement le bras de fer qui oppose les deux partis gagnants des législatives, respectivement Nidaa Tounès et Ennahdha lequel, malgré son engagement à ne soutenir aucun candidat, a voté massivement, au premier tour de la présidentielle, pour un faux président indépendant aux ordres, en plus, d’un agenda extérieur.
D’abord, que dit cette fable. Il s’agit d’un scorpion qui demande à une grenouille de le transporter sur l’autre rive d’une rivière. Effrayée, dans un premier temps, par son aiguillon venimeux, la grenouille finit par accepter, ensuite, le scorpion l’ayant convaincue que la piquer les conduirait tous deux à leur perte. Pourtant, au milieu de la rivière, le scorpion pique mortellement la grenouille qui, dans un ultime effort, lui demande pourquoi il a fait ça. Le scorpion lui répond que c’est dans sa nature et qu’il ne faut jamais croire un scorpion.
L’enseignement à tirer de cette fable c’est que certains comportements sont irrépressibles, indépendamment des conséquences.
Le comportement des acteurs de cette fable rappelle étrangement la nature de la relation établie, depuis leur historique rencontre, mi-août 2013 à Paris, entre les deux chefs des partis Nidaa Tounès et d’Ennahdha: Béji Caïd Essebsi, la grenouille et Rached Ghannouchi, le scorpion.
A cette époque, on ne donnait pas cher de la peau des nahdhaouis. Après l’assassinat du député Mohamed Brahmi, les Tunisiens sont descendus dans la rue pour clamer leur ras-le-bol de la Troïka et du parti majoritaire. Point d’orgue de cette ire populaire, le sit-in de la place du Bardo dont certains encadreurs comme Tahar Ben Hassine, opposant notoire, avaient projeté d’envahir le gouvernement, le Parlement, et même de marcher sur le palais de Carthage.
Ennahdha a su améliorer son acceptabilité…
Face à cette situation délétère, le gourou d’Ennahdha a eu la sagesse, et surtout le flair politique, de rencontrer Caïd Essebsi, à Paris, qui lui a tendu une perche de salut. Celle d’initier, avec le reste des courants politiques et des organisations nationales, un dialogue politique qui a permis de réaliser des avancées démocratiques significatives: élaboration d’une Constitution consensuelle, formation d’un gouvernement de technocrates, organisation, avec succès, des législatives…
Ennahdha était, de toute évidence, le principal gagnant de cette évolution pacifique et positive de la transition démocratique en Tunisie, et ce en dépit de son recul relatif aux législatives et la perte de son hégémonie sur le Parlement.
Les nahdhaouis ont amélioré leur image à l’intérieur et surtout à l’extérieur du pays en s’engageant à jouer le jeu démocratique et de respecter la règle de l’alternance.
Ennahdha est parvenue à s’ancrer de manière irréversible dans la société et a réussi l’exploit de se faire accepter comme une composante politique incontournable.
A l’intérieur, toutes les forces politiques sont persuadées qu’il faudrait désormais compter et coopérer avec Ennahdha et qu’aucun projet national ne peut être mené à terme que si on y associe ce parti.
A l’extérieur, Ennahdha a démontré au monde entier que l’Islam politique qu’elle prône est viable et compatible avec la démocratie. Penseurs, essayistes, politologues et spécialistes du monde musulman lui reconnaissent la hardiesse d’avoir co-rédigé une Constitution extrêmement laïque, d’avoir renoncé volontairement au pouvoir, d’avoir perdu aux élections suivantes et d’avoir reconnu sa défaite…
Moralité: Rached Ghannouchi a réussi, à la faveur de la politique consensuelle convenue avec les autres forces politiques, à améliorer l’acceptabilité de son parti auprès des opinions publiques et à réaliser une précieuse reconnaissance nationale et internationale. L’islam politique prôné par Ennahdha est devenu un cas d’école.
… mais chasser le naturel, il revient au galop
BCE, fort du bon comportement de son parti aux sondages et de sa popularité grandissante, avait joué un rôle déterminant dans la migration du parti Ennahdha de l’hégémonisme et du totalitarisme vers la coexistence pacifique. L’Histoire prouvera qu’Ennahdha lui doit beaucoup. Pour être clair, il l’a sauvé en août 2013 d’une défaite cuisante et même d’une sortie déshonorante du pouvoir, de tous les pouvoirs.
Même vainqueur aux législatives, BCE a tenu à donner des assurances aux nahdhaouis: «Nidaa Tounès ne gouvernera jamais seul et il ne peut pas ignorer Ennahdha», martèle-t-il dans ses discours.
En contrepartie, BCE n’a rien reçu. Il a même été traité avec très peu d’égard. Pis, alors qu’il se croyait sur une voie royale pour accéder à la mandature suprême dès le premier tour de la présidentielle, il se voit poignarder dans le dos par Ennahdha qui a donné des instructions à ses adhérents pour voter massivement au profit de son concurrent, Marzouki.
Comme quoi, chasser le naturel il revient au galop. Ennahdha, avec ce soutien à Marzouki, projet d’un anti-président structurel, a retrouvé comme le scorpion de la fable sa vraie nature, celle de se complaire dans la duplicité, la trahison, le désordre, les blocages et les crises générées comme toujours par l’islam politique dont ce parti se réclame.