La transition, avec ses crises à répétition, nous laisse une fois encore dans l’expectative.
Elle n’aura pas été ce long fleuve tranquille dont on rêvait. Avec ses hoquets successifs, elle nous a fait souvent convulser. “Elle“, c’est la Transition qui botte en touche, au grand désarroi des Tunisiens. Tragique destin que le peuple soit pris en otage par l’institution parlementaire, pourtant destinée à notre délivrance.
L’ANC nous a fait attendre trois ans au lieu d’un seul, se déclarant souveraine. L’ARP, première institution du tissu démocratique de la deuxième République, dès sa première plénière, connaît déjà une panne moteur et nous tient en haleine. L’ennui est qu’on s’est laissé piéger par la bonhomie ambiante et tous le samalmaleks des dirigeants des camps rivaux. On ne voyait pas le blocage venir. Voilà un système politique déjà grippé à son premier acte de fonctionnement. L’ARP n’a pas été capable d’élire son président. Encore une douche froide de la discorde. Vivons-nous une crise larvée?
Un moment de forte émotion
La cérémonie d’ouverture a été entamée avec ce qu’il faut de solennité. Ali Ben Salem à la tribune, encadré de ses deux plus jeunes pairs, avait donné le plein de gravité et d’émotion à la plénière. La présence de ce résistant, puis opposant qui se retrouve, à un autre pic de sa longue trajectoire politique, doyen des députés, symbolise la réconciliation du pays avec son passé. Il ajoutera son empreinte propre en validant la filiation des martyrs. Il a incidemment fait le bridging entre les martyrs de la révolution, nos congénères, tombés sous les balles de Ben Ali. Et, nos ancêtres patriotes tombés sous les balles de la colonisation en 1911 lors des événements dits du “Tramway“ donnant la première génération de martyrs qui ont payé le prix du sang pour que “Tahyia Tounès“.
Et c’est aussi une célébration de la dynamique de la réforme portée par Kheireddine Pacha jusqu’à nos jours. Mais très vite l’ambiance s’est dégradée. Beaucoup de carences ont émaillé le discours d’adieu du président de la Constituante. Et puis survient cette difficulté des groupes parlementaires à s’entendre sur un président. Cette première douche froide démocratique peut-elle se dissiper?
La minute de silence a manqué
Le premier Parlement de la IIème République comporte une nouveauté de taille. Il symbolise la consécration des libertés publiques. Il faut garder à l’esprit que le nouveau-né est venu d’une lutte sanglante pour la conquête des libertés. Il était impératif de souligner que la Constitution est le texte fondamental qui fait de l’Etat le premier garant des libertés. Et que c’est parti pour durer!
C’était la conquête essentielle et fondamentale. Elle fut à plusieurs reprises maculée par le sang des martyrs politiques avec pour noms Chokri Belaid, Lotfi Naghdh et Mohamed Brahmi, pour ne citer que ceux-là. Cette conquête n’est plus la cible de la dictature comme par le passé mais du terrorisme politique. On ne pouvait et devrait la passer sous silence. C’était regrettable de ne pas mettre cela en exergue et il était tout aussi regrettable de ne pas consacrer une minute de silence à la mémoire des martyrs.
D’autres manquements ont marqué cette journée. La cérémonie a manqué de panache. Aucun invité étranger avec l’absence du président de la République, provisoire.
Et puis il y a eu ce désagrément du défaut de locution de Mme Souid, députée du parti Ennahdha pour la circonscription de Gabès, qui a déformé la phonétique du nom de plusieurs de ses pairs députés. Regrettable! Et pour couronner le tout, cette mauvaise surprise de ne pouvoir dégager une majorité parlementaire pour l’élection du président du Parlement, ARP. Que de déconvenues. Et voilà que 161 députés conviennent du report des travaux pour la séance du jeudi 4 décembre. On a souvent évoqué le vote utile et là on découvre que le vote a été inconséquent. On n’a pas fini de ramer à cause des travers du parlementarisme. Que faire, désormais?
Le dilemme de Nidaa
C’est le mauvais timing du calendrier électoral qui nous joue ce mauvais tour. L’élection présidentielle a pesé de tout son poids dans cette pesanteur parlementaire. Nidaa est dans une impasse faute d’une majorité parlementaire. Ses alliés déclarés ne lui donnent pas la base nécessaire. Il lui faudra un appoint. Elle ne peut aller le chercher qu’auprès du Front populaire ou d’Ennahdha.
La difficulté est qu’avec le Front populaire, elle ne gardera pas les mains libres pour la formation du gouvernement. Et, de notre point de vue, une éventuelle entente avec Ennahdha ne peut se seller que par l’élection d’un nahdhaoui. Nidaa se retrouverait alors dans une situation inconfortable, car, à l’issue incertaine où il céderait le perchoir sans la moindre garantie du ralliement de la base nahdhouie pour faciliter l’élection de BCE à la présidence.
Entre deux maux, il faut choisir le moindre. L’alliance avec le Front populaire est la moins coûteuse. Car dans l’hypothèse favorable de gagner la présidentielle, Nidaa peut toujours dissoudre et contraindre les électeurs à lui donner une majorité parlementaire. Il y a de la manœuvre dans l’air.