épréciation vis-à-vis du dollar ne fait pas que des heureux (Photo : Yoshikazu Tsuno) |
[05/12/2014 21:26:17] Tokyo (AFP) Pendant trois ans, le Japon s’est morfondu face au yen fort. Maintenant que la devise est retombée à son niveau d’avant-crise financière sous l’influence des “abenomics”, les grandes firmes nippones se frottent les mains, mais la dépréciation du yen vis-à-vis du dollar ne fait pas que des heureux. Explications.
QUI GAGNE ?
Les exportateurs – et leurs actions en Bourse – en sont les premiers bénéficiaires: ce phénomène renforce leur compétitivité à l’étranger et gonfle mécaniquement leurs recettes comptabilisées en yens.
Pour Toyota, dont 40% des voitures sont encore “made in Japan”, c’est le jackpot. Quand le dollar progresse d’un yen sur un an, le bénéfice opérationnel du géant de l’automobile bondit de 40 milliards de yens (225 millions d’euros).
Pour Nissan, c’est “seulement” 12 milliards, du fait d’une plus faible production sur le territoire nippon (20%).
Le bilan est plus mitigé pour le secteur de l’électronique.
Parce qu’il assemble beaucoup hors du Japon et achète de nombreux composants à l’étranger, Sony subit “un impact négatif de 3 milliards de yens” sur son résultat d’exploitation. En revanche, ses ventes en ressortent gonflées de 50 milliards de yens.
Pour autant, aucune des grandes firmes n’envisage de revenir sur les délocalisations accélérées pendant la crise financière, époque du yen fort.
Car, comme l’explique Nissan, l’idée est désormais de produire au plus près des clients, “afin de réduire l’exposition aux fluctuations des taux de change”.
D’autres disent privilégier une vision de long terme et ne pas procéder à des changements sur la base des mouvements de devises.
QUI PERD ?
Comme l’a révélé la dernière enquête “Tankan” de la Banque du Japon (BoJ), les entreprises ne sont pas toutes logées à la même enseigne.
A cause du yen fléchissant, les compagnies aériennes et d’électricité ont vu leurs coûts s’élever à mesure qu’elles augmentaient leurs achats à l’étranger de kérosène et d’hydrocarbures, les premières pour faire voler leurs avions et répondre à une demande croissante sur fond de reprise, les deuxièmes pour faire turbiner les centrales thermiques davantage sollicitées depuis la catastrophe de Fukushima.
Selon une enquête réalisée pour l’agence Jiji auprès de 4.896 entreprises, plus de 48% disent pâtir du yen faible, contre seulement 4,9% vantant ses mérites. Car les grandes qui en profitent sont moins nombreuses que les petites qui en souffrent.
Le secteur non-manufacturier et les PME, davantage tournés vers le marché intérieur, retiennent surtout le coût renchéri des importations, composées pour moitié de matières premières et de ressources énergétiques indispensables.
Conséquence, les faillites liées aux devises ont bondi entre janvier et octobre à 259 cas, contre 92 sur la même période l’an passé, d’après une étude de Teikoku Databank. “Une dépréciation accrue du yen pourrait signer la mort de compagnies qui ont déjà du mal à survivre”, prévient-elle.
Autres grands perdants de l’affaire, les consommateurs, durement touchés par la hausse des prix subséquente.
Au final, cette évolution des monnaies “a fait jusqu’à présent plus de tort que de bien”, estime Marcel Thieliant, de Capital Economics, un mal néanmoins nécessaire selon lui pour lutter contre la déflation et relancer l’économie.
Le taux de change idéal ? Entre 100 et 104 yens, contre 120 actuellement, répondent 40% des firmes interrogées par Jiji.
QU’EN PENSENT LES AUTORITES ?
Largement responsables de la dégringolade du yen, le Premier ministre, Shinzo Abe, et le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, n’ont longtemps pas tari d’éloges sur ses vertus, bien supérieures à ses inconvénients à leurs yeux, même si, autrefois habitué à d’enviables excédents commerciaux, le Japon endure désormais des déficits abyssaux.
Quand le dollar a dépassé la barre des 110 yens début octobre, ils ont cependant émis de premières réserves. M. Kuroda a dit surveiller de très près les mouvements du marché des changes, tandis que le ministre des Finances, Taro Aso, a jugé ce déclin “trop rapide”.
Au-delà des discours inquiets, M. Abe, en pleine campagne électorale pour vanter sa stratégie “abenomics” en vue des élections législatives du 14 décembre, a promis des mesures pour soutenir les ménages modestes, les pêcheurs et les sociétés les plus affectées par la hausse des prix de l’énergie importée.
Bonne nouvelle cependant, la déroute des cours de l’or noir devrait alléger la pression.