« Il y a une chose pire que de payer l’impôt sur le revenu, c’est de ne pas en payer » décréta il y a moins de deux siècles Lord Dewar, politicien écossais. Depuis, beaucoup d’eau est passée sous les ponts et les impôts tout comme d’autres phénomènes restent incontrôlables malgré toutes les mesures prises pour limiter la nocivité des fraudeurs. Ceux qui dans un pays comme le nôtre opèrent dans le secteur formel et qui ont fait de l’évasion fiscale leur sport favori ou pire, ceux très actifs dans l’économie et les finances parallèles et qui profitent des avantages d’être Tunisiens sans assurer leur devoir de citoyens détruisant sciemment l’économie. Les nouvelles lois de finances élaborées par le ministère de l’Economie et des Finances en 2014 ont consacré beaucoup de chapitre à la fiscalité. Serait-ce suffisant pour réduire le nombre de fraudeurs, privilégier les bons payeurs et sanctionner les voleurs.
Les réponses dans cette première partie de l’entretien tenu avec Hakim Ben Hamouda, ministre de l’Economie et des Finances.
Quelles sont les grandes lignes du budget de l’Etat 2015 ?
Le budget 2015 s’inscrit dans la continuité de l’action du gouvernement Mehdi Jomaâ depuis son arrivée au pouvoir au début de l’année 2014 et des priorités définies dans ce cadre-là.
Les priorités sont au nombre de 4. La première est la stabilisation macroéconomique et la sauvegarde des grands équilibres et des fondamentaux et ce pour une raison très simple : la perte des grands équilibres macroéconomiques a pour conséquence la perte de notre souveraineté et notre indépendance dans tout ce qui touche aux grandes décisions économiques. Nous avons beaucoup travaillé à ce niveau pour ramener le déficit des finances publiques en dessous de 6% et nous espérons le réduire à -5% en 2015. Le deuxième point touche à l’investissement et la croissance. C’est l’une de nos priorités. Nous avons en 2014, en consultation avec l’UTICA, pris un certain nombre de mesures pour encourager les investisseurs dont celle de réduire la TVA à 0% pour les nouveaux projets. Une mesure qui devait prendre fin ce mois-ci. Nous avons décidé de la proroger jusqu’à fin 2015 pour des investissements qui peuvent être réalisés en 2017. C’est une mesure choc dont l’objectif est de relancer les investissements. Le troisième aspect touche aux réformes économiques. Nous avons beaucoup avancé à ce niveau-là. La réforme bancaire a beaucoup progressé, la réforme fiscale aussi. Elle sera incessamment adoptée par le gouvernement et sera au cœur des lois de finance 2015/2016 et 2017. La quatrième dimension touche au volet social que nous cherchons à développer dans le cadre d’accords avec l’UGTT et dans le sens d’appuis plus importants en direction des couches les plus défavorisées. Ces axes ont été traduits par les mesures prises dans le cadre du budget 2015.
A combien évaluez-vous le budget 2015 ?
Il est équilibré recettes/dépenses à hauteur de 29 milliards de dinars avec probablement une amélioration des ressources internes dans le budget de l’Etat. Dans les normes internationales, les recettes propres de l’Etat fiscales et non fiscales ne doivent jamais descendre en dessous du seuil des 85%. Nous avions été désagréablement surpris de découvrir que nos ressources propres étaient de l’ordre de 60%. Ce gap entre les recettes propres et les dépenses de l’Etat expliquent les tensions sur les finances publiques dont souffre le pays depuis des mois et le recours à l’endettement pour remédier à ce décalage.
Le plus important dans la loi complémentaire des Finances de 2014 était de ramener nos ressources propres à 70%. Nous comptons l’augmenter à 75% en 2015 et nous nous sommes fixés pour objectif d’atteindre d’ici 3 ans les 85%, c’est-à-dire la norme standard en matière de ressources propres attribués au budget de l’Etat.
Pour 2015, nous avons déjà préparé le terrain en prenant des mesures dans la loi complémentaire des Finances contre l’évasion fiscale, la contrebande, le marché parallèle et nous avons oeuvré pour plus de transparence en réglementant la levée du secret bancaire. Le nombre de dispositions pris dans le cadre cette loi a atteint une centaine. C’est trop. Généralement les années qui suivent celles où l’on prend ce genre de décisions sont des années de répit. Pour cette année, les nouvelles mesures ne seront pas nombreuses et l’idée est de laisser du temps à l’Administration fiscale mais également aux citoyens et aux opérateurs privés de se familiariser avec les nouvelles dispositions.
Nous avons également préparé le terrain pour l’adoption de la loi des Finances 2016 que le gouvernement et les représentants du peuple devraient commencer à préparer dès le 1er mars. La première note sera diffusée à cette date, c’est dire l’importance des délais pour cette loi car elle devrait mettre en application toutes les mesures prises dans le cadre de la réforme fiscale.
Pour l’année prochaine, la loi de Finances sera celle de l’explication, de la vulgarisation et de facilitation pour permettre une meilleure assimilation des mesures prises. Elle se distinguera par le désengagement de l’Administration fiscale. A ce propos, un exemple : lorsqu’une entreprise fait l’objet d’un redressement fiscal, on lui fixe une deadline pour réagir, ce qui n’est pas le cas de l’administration. La nouveauté que j’ai introduite est d’astreindre l’Administration à se prononcer au bout d’un certain temps.
J’ai pris des mesures importantes en faveur des entreprises. A titre d’exemple pour les entreprises solvables, en règle avec l’Administration et respectueuses des lois et procédures, j’ai créé un couloir vert. Les grands groupes et les entreprises connues pour leur bonne gouvernance peuvent déposer leurs déclarations et seront prioritaires. Elles feront l’objet d’un contrôle approfondi tous les dix ans. L’idée est de leur faciliter la tâche et de ne pas faire de la fiscalité une sanction ou une punition. Le but est de rassurer les entreprises honnêtes. La Loi complémentaire des Finances a été une jonction entre la loi des finances 2015 et celle de 2016. Notre but est de baliser le terrain au prochain gouvernement qui devrait se pencher dès mars 2015 sur l’élaboration de la loi des finances de l’année d’après. Le propre de la nouvelle loi des Finances est qu’elle ne comprend pas de mesures controversées de point de vue social. Les engagements pris, concernent essentiellement l’Administration fiscale et visent essentiellement la facilitation du travail des entreprises.
Sur le plan pratique, quelles sont les réformes fiscales les plus importantes ?
Il y a tout d’abord la volonté de l’Etat de rendre d’introduire plus de cohérence dans les textes. Car souvent vous trouvez un article de loi qui décrète une mesure et un autre qui le contredit. A titre d’exemple la TVA, il y a des produits et des niches qui sont concernés, d’autres qui ne le sont pas. Il faut impérativement de la clarté dans les textes pour que l’Administration ne recoure pas à des interprétations qui peuvent des fois être injustifiées ou dommageables pour les contribuables. Tout le travail que je fais est axé sur la simplification des textes et des procédures pour éviter les mauvaises interprétations et la corruption. La clarté et la simplicité des textes éviteront aux uns et aux autres une mauvaise application de la loi. Elle sera exécutée telle que stipulée.
Nous avons mis en place une fiscalité favorable à l’investissement et adaptée aux spécificités des régions. Dans les démocraties, on accorde aux régions du pouvoir et des prérogatives pour qu’elles soient plus autonomes et plus impliquées dans la prise des décisions servant leurs intérêts.
J’ai été récemment à Marseille dans le cadre d’une réunion sur le partenariat méditerranéen et ce que la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) a réalisé est impressionnant sur la base de la fiscalité locale. C’est ce que nous ambitionnons de faire en Tunisie : encourager et renforcer la fiscalité locale et faire en sorte que le développement dans les régions ne soit pas tributaire des décisions du pouvoir central. Les acteurs locaux doivent être plus actifs dans leur développement socio-économique.
Ces dernières années, on parle beaucoup des micro-crédits et du rôle qu’ils peuvent jouer dans le développement pas seulement à l’échelle régionale mais à l’échelle nationale. Avez-vous pris des mesures pour encourager, réguler et contrôler ce mode d’investissement orientée vers les classes pauvres et défavorisées ?
J’ai été heureux de visiter le siège d’une association de microcrédit « Attayssir » à La Cité Ettadhamen, en compagnie du Président de la Banque européenne de Développement et de Tarak Chrif, président de l’association. Le microcrédit en tant que mode de financement me tient beaucoup à cœur car c’est un instrument de développement important. D’ailleurs à chaque fois que je me déplace à l’intérieur du pays, je mets un point d’honneur à visiter une structure de microcrédit. Je l’ai fait au Kef où il y avait l’antenne locale de « Attayssir » et à Kairouan, c’était Enda. J’ai été impressionné par l’énergie dégagée par les acteurs impliqués dans ces activités et également la capacité des bénéficiaires à changer leurs vies rien qu’en contractant un microcrédit de l’ordre de 5 mille dinars. Ce qui est magnifique, c’est que pour la plupart des bénéficiaires sont des femmes qui ont récupéré leurs vies, reconstruit leurs familles, donné à leurs enfants les moyens de réussir et redynamisé des secteurs qui étaient voués à la mort surtout dans les activités artisanales. Le plus important pour moi, est la question de l’accès aux financements pour les groupes sociaux vulnérables de fait marginalisés parce qu’ils ne peuvent pas contracter par eux-mêmes des prêts par les canaux classiques.
Qu’avez-vous fais pour changer cet état de choses ?
J’ai fait passer une loi qui réglemente le secteur du microcrédit et accordé des agréments aux opérateurs dans le secteur du microcrédit. Par exemple, nous avons autorisé Enda Tiers monde à augmenter les montants des crédits offerts à ses adhérents, nous avons donné des agréments à trois nouvelles institutions, Microcréd de Jacques Attali en partenariat avec des investisseurs tunisiens, « Attayssir » et une autre.
La mission de ces institutions ne se limite pas à l’accord de crédit mais elles veillent à accompagner le contractant (e), à le former et à s’assurer que son projet est sur la bonne voie. C’est ce qui explique le coût important de leurs investissements. Ces institutions font un travail extraordinaire et je suis heureux que notre pays qui était à la marge de ce mouvement y accède aujourd’hui avec l’appui des lois en vigueur. Dans le microcrédit, il ne faut pas oublier les associations de développement qui ont beaucoup de mérite et avec lesquelles nous voulons mettre en place une formule d’aide et d’appui surtout dans les régions intérieures. Nous les accompagnons pour mieux les structurer et améliorer leur management dans le sens d’une gestion plus transparente et plus efficiente de leurs ressources.
Nous voulons, parallèlement au système bancaire existant, développer en Tunisie, un autre moyen de financement, celui du microcrédit qui répond aux besoins d’une clientèle différente et dans le besoin et donne du rêve et de l’espoir à nombre de nos concitoyens qui n’en avaient plus.