Tunisie-économie : «Un identifiant unique pour toute personne morale ou physique, c’est notre révolution» (Hakim Ben Hammouda)

Investir dans un pays en période postélectorale, dans un climat d’instabilité sociale et sécuritaire, c’est un acte de courage qui n’est pas donné à tout le monde. Dans notre pays, les grands groupes et les opérateurs privés les plus importants sont tous en standby attendant plus de visibilité politique et une trêve sociale qui n’est pas évidente au train où vont les choses. Pourtant, l’appel de Mehdi Jomaâ, chef du gouvernement, est sans équivoque: invest in start-up democraty. C’est super la démocratie! A condition qu’elle soit accompagnée de la culture travail, du sens de la responsabilité, de l’obligation de résultat et de la discipline qui fait douloureusement défaut à un grand nombre de travailleurs aujourd’hui. Ceux qui vont même jusqu’à exiger le changement des DG ou des PDG. Cela s’appelle la démocratie à l’envers.

Deuxième partie de l’entretien avec Hakim Ben Hammouda, ministre de l’Economie consacrée à l’investissement.

tunisie-interv-hakim-ben-hamouda-wmc-2014-01.jpgJe regarde autour de moi et je vois des investisseurs locaux réticents quant au lancement de nouveaux projets, et là je ne parlerais même pas des internationaux. Quelle est votre appréciation des orientations des investissements dans les mois à venir et quel message adresserez-vous aux investisseurs potentiels?

Je suis profondément convaincu que l’avenir de la croissance en Tunisie sera tiré par l’investissement privé. L’investissement public a été important à un moment où il y avait une perte totale de confiance de la part des opérateurs privés. 2014 n’a pas été favorable à l’investissement pour nombre de raisons et surtout à cause des élections. Les années pré-électorales ne sont jamais propices à l’investissement et si on y ajoute le contexte sécuritaire, il est aisé de comprendre que les choses ne sont pas aussi simples qu’on le pense.

Une reprise forte de l’investissement privé sera l’un des signaux les plus forts de la relance économique de la Tunisie. Ceci suppose nombre de conditions: la première concerne la finalisation du cadre législatif. Je pense qu’il faut qu’il soit le plus simple possible, le moins contraignant et le moins sujet à interprétation. Une charte concise, claire et précise aura un impact beaucoup plus important qu’un code épais, compliqué et chargé qui peut faire l’objet de nombre de lectures.

Le deuxième aspect le plus important pour une reprise des investissements est celui des institutions. Nous en avons aujourd’hui une kyrielle: APII, APIA, FIPA, Conseil supérieur de l’investissement, et j’en passe. Certaines sont intégrées à des ministères, d’autres sont situées ailleurs. Il y a besoin urgent de mettre de l’ordre dans l’environnement institutionnel pour que les décisions, afin de mieux faciliter et accélérer les investissements, soient prises plus rapidement et pour éviter que ce passage par autant d’institutions se transforme en un parcours du combattant qui doit à chaque fois franchir une étape.

La question du guichet unique doit être impérativement réglée. La loi existe, il faut l’appliquer. Quand un investisseur entre dans ce guichet muni des papiers en règles, il faut qu’il ressorte avec l’agrément. Le gouvernement et l’UTICA se sont entendus à ce propos et la centrale patronale a été jusqu’à proposer que ses sièges régionaux abritent les guichets uniques. Ceci pourrait être un signal fort à l’intention des investisseurs.

Il faut aussi que le système judiciaire suive et que les lois sur les procédures collectives (faillites) suivent. Il ne faut pas que la gestion des entreprises en difficulté devienne un fardeau sur le système bancaire, les entreprises et l’Etat. Il faut un cadre consacré à ce genre de problème.

Pour certains investisseurs étrangers, le système judiciaire laisse à désirer et n’est pas garant de transparence ou d’équité. Comment expliquez-vous cela?

Il y a deux lois qui sont essentielles pour l’amélioration du climat d’affaires. Celle touchant aux procédures collectives et qui règle la situation des entreprises en difficulté, et celle sur la concurrence qui réglemente les rapports entre les entreprises nationales elles-mêmes et ceux avec les entreprises étrangères. Elles ont été mises en place par nos services et soumises à l’Assemblée des représentants du peuple pour adoption.

Que comptez-vous faire pour barrer la route aux affairistes arnaqueurs qui recourent à des pratiques telles celles de mettre tout leur patrimoine au nom des proches et des parents pour échapper au couperet de la loi? Les opérateurs honnêtes doivent-ils supporter les dépassements?

Il y a des gardes fous grâce aux mesures introduites récemment dans la loi de finances. Le système gagne en transparence pas seulement vis-à-vis de l’Administration mais vis-à-vis des opérateurs économiques. C’est d’ailleurs l’un des fondements de la démocratie. Nous sommes en train travailler sur l’identifiant unique et c’est un énorme pas en faveur d’une transparence tous azimuts. C’est presque révolutionnaire. Que chaque citoyen ait un identifiant unique qui nous permet de déterminer son niveau de vie, ses revenus, le point de sa situation avec les Caisses sociales, avec l’administration fiscale, de cibler les catégories sociales qui ont besoin de subventions et d’aides de l’Etat c’est une démonstration de plus dans le sens de plus d’équité sociale, de meilleure gouvernance et de pratiques démocratiques.

Je pense personnellement que nous sommes en train de construire dans deux ans l’économie émergente de la Tunisie. Nous gagnons en transparence, nous avançons sur les plans réglementaires et procéduraux et cela nous permettra de devenir le hub ou la plateforme de la région. Et ce n’est pas un rêve, c’est pour moi une certitude. Chaque jour, je reçois à mon département des investisseurs des pays du Golfe, des pays anglo-saxons qui viennent s’enquérir de l’évolution des choses en Tunisie, voir où en sont les choses et comment elles vont avancer sur les plans politique et socioéconomique.

La Tunisie sera l’économie émergente de la Méditerranée et de l’Afrique. Je reçois des banques internationales pour installer leurs sièges à Tunis. Le problème est que nous n’avons pas de grands espaces pour les bureaux. C’est une entrave. Nous avons eu l’exemple de la BAD qui voulait un espace qui abrite 2.000 bureaux, elle a été obligée de les répartir sur 6 sites. Prenez aujourd’hui une banque comme JP-Morgan, elle a besoin de 700 à 800 bureaux, ceci existe-t-il à Tunis

Parlons de la diversification des produits touristiques et particulièrement du développement du tourisme de congrès en Tunisie. Nous n’avons pas les infrastructures qui répondent à ce genre de demandes ni aux exigences de cette clientèle haut de gamme et de qualité. Nous n’avons même pas de centres de conférences qui abritent 50 réunions pour 10 personnes et dans le même temps il organise un grand schlem pour 20.000 personnes et autour de lui des dizaines d’hôtels.

Aujourd’hui les privés doivent investir dans des grands espaces de bureaux qui comprennent des centaines de bureaux pour attirer les sièges régionaux des grandes firmes et des grandes institutions financières. La Tunisie est idéalement située géographiquement, elle doit en profiter.

Je reviens toujours aux mesures pratiques destinées aux investisseurs étrangers. Plus que le guichet unique, que leur proposez-vous pour rendre le site Tunisie plus attrayant?

La clarification du cadre législatif et l’allègement des procédures administratives sont très importants maintenant que nous avons retiré le code des investissements élaboré il y a deux ans. Le plus gros dossier que doit étudier le nouveau gouvernement pour les 100 premiers jours est celui de l’investissement. Le cadre institutionnel doit être déterminé, pour ce qui est de la loi Public/Privé, elle a été soumise à l’Assemblée et elle sera votée dès que possible car l’Etat est aujourd’hui incapable de s’engager dans des grands projets par ses propres moyens.

Aurons-nous une police financière en Tunisie?

Il y a une mauvaise interprétation quant à cette décision. En fait, c’est un corps de contrôle qui existe aujourd’hui et ce que l’administration voulait faire était surtout de le professionnaliser encore plus, le renforcer et de le développer en le dotant des moyens adéquats. La fiscalité est en fait assez simple si nous suivons la bonne approche. Vous avez les bons payeurs pour lesquels nous avons créé le couloir vert et c’est le cas des plus grandes entreprises tunisiennes solvables. Ceci nous permettra de libérer une partie du personnel pour qu’ils axent plus leur contrôle sur les spécialistes de l’évasion fiscale et les fraudeurs structurels.

La gangrène qui a frappé la Tunisie et qui continue à le faire de manière encore plus virulente est celle de la contrebande qui ruine l’économie nationale. Des mesures drastiques à ce sujet?

L’une des priorités du gouvernement Jomaâ a été de réduire la nocivité de l’économie et des finances parallèles sur notre pays. Nous avons introduit dans la loi des finances complémentaires des articles pénalisant les acteurs de l’économie parallèle et de la contrebande et allant jusqu’à la nationalisation des biens des contrevenants. C’est une mesure phare et exprime le courage de ce gouvernement. Nombreux parmi les contrebandiers ont été arrêtés. Aujourd’hui nombre de produits commercialisés auparavant par les contrebandiers ont disparu et les prix augmentent conséquemment. C’est l’effet immédiat des décisions prises par le gouvernement pour lutter contre ce fléau.

Sur les routes, on ne voit plus autant de vendeurs ambulants de produits de contrebande ou d’essence, c’est le travail de la garde nationale, de la police et des services de douane.

Par contre, nous serons heureux d’intégrer les acteurs de l’économie et des finances parallèles dans le secteur formel. Notre philosophie est la réconciliation fiscale. C’est un défi que nous avons pris et qui donne aujourd’hui ses fruits puisque nombre de ces opérateurs viennent déclarer leurs revenus à l’administration des impôts et déclarent leurs intentions d’intégrer l’économie formelle et se mettent ainsi en règle avec l’Etat.

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