Le hasard des circonstances a fait que, comme pour la session de 2013, les Journées de l’entreprise 2014 se tiennent à un moment crucial de l’avenir –politique, social et économique- de la Tunisie. En effet, en décembre de 2013, les Journées se déroulées au moment de choisir un chef de gouvernement de technocrates; cette année, elles se déroulent entre deux tours de la présidentielle –qui oppose Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki.
On aura compris que l’enjeu est de taille: qui des deux candidats sera en mesure de redonner à la Tunisie son aura!
Revenons aux Journées de l’entreprise, dans leur 29ème édition, pour rappeler que le thème de cette année était “L’entreprise et le capital humain : productivité et partage“. Les différents concepts qui composent le thème sous-entendent qu’il faut repenser l’emploi –ici “capital humain“-, la productivité –entendre ici “efficacité, rendement“- et le partage –ici “rémunération, salaire“.
Pour en débattre, des experts, des chefs d’entreprise, des hommes politiques, mais surtout les représentants des deux organisations sociales les plus représentatives du pays, l’UTICA et l’UGTT.
En effet, Wided Bouchamaoui et Hacine Abassi, respectivement présidente de la centrale patronale et secrétaire général de la centrale syndicale, étaient invités pour la clôture de cette 29ème édition, et débattre autour du panel intitulé “Le dialogue social et la flexi-sécurité: quel consensus“. Du moins qu’on puisse dire, on a été largement servis, car Bouchamaoui et Abassi nous ont offert un vrai face-à-face digne d’un débat présidentiel entre deux tours, comme certains l’ont d’ailleurs souligné.
D’abord un constat: les deux débatteurs ont, le plus naturellement du monde, essayé de défendre leur positions. Cependant, dans le fond, on a assisté à des discours diamétralement opposés. Si Mme Bouchamaoui a tenu un discours moderniste en phase avec les réalités du monde actuel, celui de M. Abassi était aux antipodes de l’évolution, on cru entendre Karl Marx en personne: exploitation des ouvriers, esclavage (“sous-traitance= esclavage“), etc. Autant dire qu’il nous a renvoyés à plusieurs siècles en arrière. C’est regrettable, car, même s’il dit n’avoir pas “décrété le retour du communisme…“, les mots qu’il a employés ont retenti dans l’oreille des chefs d’entreprise comme un appel à plus de revendications pour les salariés.
Comme dans les écrits de Marx, Abassi s’est attaqué au capital, aux bailleurs de fonds… «Oui, l’UGTT est prête à écouter les chefs d’entreprise, à dialoguer avec le patronat, mais il n’est pas question de leur donner un chèque en blanc». En un mot, des relents de “lutte ouvrière“ du 19ème siècle, et ce même si par ailleurs il reconnaît que le salaire est une récompense d’un travail fourni –mais dans le sens marxiste du terme, à la différence que Marx n’a jamais nié l’importance du capital financier dans la création des richesses (il a simplement dénoncé la répartition inégale des richesses créées).
En face, paradoxalement, la patronne des patrons tunisiens a su garder son sang froid et tenir un langage conciliant mais de vérité. Mme Bouchamaoui a souligné, en substance: le dialogue et la concertation entre l’UTICA et l’UGTT doivent continuer dans un respect mutuel; le Pacte social, signé en janvier 2013 entre le gouvernement d’un côté, et l’UTICA et l’UGTT de l’autre, est un acquis pour le pays, et c’est la “Constitution“ de l’UTICA et de l’UGTT; il faut s’ouvrir et s’adapter à l’évolution notamment des technologies de l’information et de la communication; la nécessité de souplesse dans certains domaines et situations; aucune entreprise ne peut licencier un employé efficace, efficient et productif…
En un mot, alors que Mme Bouchamaoui insiste sur la notion de flexibilité en matière d’embauche, et que les entreprises ne réclament pas d’avantages mais des taux d’impôts acceptables, M. Abassi rétorque, avec virulente en disant que “la flexibilité n’a jamais permis de diminuer le nombre de chômeurs“. Comme s’il vivait sur autre planète.