Le nouveau modèle économique exprimé du point de vue de l’UTICA doit être boosté par la productivité et la flexi-sécurité. Erreur, dira l’UGTT, il ne se fera pas par un renoncement aux conquêtes sociales. La flexibilité n’est pas le moteur de l’investissement. Si la sous-traitance a pu prospérer sur le sacrifice du bas salaire, la reprise ne se fera pas par une dégradation des droits syndicaux. La messe est dite.
Samedi 6 décembre, on eut droit dans le déroulé des Journées de l’entreprise à cette rencontre choc entre les premiers responsables des deux centrales patronale et ouvrière. C’est la deuxième édition qui voit ce face à face. Nous ne sommes pas loin de penser que l’IACE sera désormais l’écrin de cette rencontre au sommet où les deux partenaires viendront fumer le calumet de la paix afin de ne pas se mettre sur le sentier de la guerre. Ce fut un moment intense où on a vu se dessiner les contours du prochain round du dialogue social, que Wided Bouchamaoui rappelle avoir contribué à le laisser ouvert à longueur, initiative non désavouée par son vis-à-vis.
Elle fut aussi un moment de full contact. Bien dans son rôle, Houcine Abassi exigera de Chekib Nouira -modérateur du débat- “de clôturer le débat étant donné que Mme Bouchamauoi l’a entamé“, résolution respectée par le modérateur et qui a suscité l’hilarité de l’auditoire.
Les vertus du dialogue et les chocs du duel
Les échanges entre Bouchamaoui et Abassi ont été de grande intensité, enthousiasmant l’assistance, laquelle n’est pas restée indifférente. Les deux responsables ont joué franc jeu, et c’est tout à leur honneur. C’est également à l’avantage du débat démocratique dans notre pays. C’était une thérapie saine. Et, les rebondissements ont été fréquents mettant à rude épreuve le modérateur. Celui-ci a usé de grande patience pour ne pas froisser ses panélistes quand ils ruaient, et aussi de lucidité pour éteindre les étincelles fréquentes dès qu’elles fusent de part et d’autre.
Tout a été dit et les deux protagonistes ont développé des arguments de bonne facture, sincères et recevables. Sans se ménager. C’était rude mais à fleuret moucheté, sans agression, sans offense. La direction de l’Institut serait bien inspirée de diffuser ce débat à la télévision publique pour bien informer l’opinion.
Le capitalisme à visage humain
Mme Bouchamaoui a parlé au nom des siens, les chefs d’entreprise responsables qui ne fraudent pas le fisc, ne font pas la chasse aux primes et autres subventions. Ceux qui respectent les travailleurs ainsi que leurs représentants syndicaux et se conforment au droit social. Ceux qui se soucient de la valeur de leur entreprise et veulent la léguer en bon état à leurs descendants. Ceux qui croient au dialogue social et qui instruisent une relation de confiance avec les syndicats. Elle pense que ceux-là militent pour un capitalisme à visage humain qui ne veut pas prospérer en exploitant les travailleurs. Elle pense qu’elle est, de ce fait, fondée réclamer la flexi-sécurité pour ses pairs, ce qui les favoriserait, soutient-elle, dans la compétition internationale.
Une entreprise réactive est un moteur autant pour la croissance que pour l’emploi. Une entreprise compétitive est un rempart de sécurité pour le travailleur. Comment peut-on douter de la gratitude du capitaliste. Un bon chef d’entreprise serait bien mal inspiré de congédier un bon travailleur. Puis, pour que le partage des richesses soit équitable, y a-t-il mieux que la productivité pour déterminer le salaire?
Le syndicalisme doctrinaire
Ce n’est pas le capitalisme local qui inquiète le SG de l’UGTT, mais bien les dérives du capitalisme financier à l’international. C’est lui qui rythme les tendances du capitalisme dans le monde et finira par impacter les pratiques dans les pays en développement. Or, ce capitalisme à visage unanime -à présent qu’il a poussé le socialisme hors-jeu-, est assuré de ne plus avoir de système alternatif et donc se comporte en conquérant.
Longtemps il a cherché à faire illusion en accordant des droits aux ouvriers du monde capitaliste pour leurrer l’opinion, montrant un visage respectable. A présent qu’il est dominant, il entend récupérer ce qu’il a auparavant accordé à la classe laborieuse essayant de saper les droits sociaux, précarisant la situation des travailleurs.
Il n’est inscrit nulle part, dit Houcine Abassi, que la flexibilité est le moteur de l’investissement, même si elle est d’un apport utile. L’UGTT n’autorisera pas que la flexibilité devienne la règle. Un travailleur ne doit pas travailler la peur au ventre d’être congédié au bon gré de son patron.
Il dit à Mme Bouchamaoui qu’un patron raisonnable ne licencie pas un bon travailleur. Mais ce n’est pas un argument de raison qui peut rassurer la classe ouvrière. C’est la primauté du droit et les avantages sociaux qui sont le rempart contre la précarité.
La productivité? Elle est nécessaire mais elle ne saurait être le seul indicateur de détermination des salaires. Le chef d’entreprise est seul à décider des grands choix d’investissement, pourquoi les travailleurs supporteraient-ils les travers de ce choix qui leur échappe? Le salaire est la contrepartie d’un temps de travail, la productivité ne peut être stimulée que par les incitations.
Comment mettre tout cela en musique?
Faut-il des souplesses pour aider à résorber le chômage. Ce serait souhaitable, dit Wided Bouchamaoui, qui y voit une façon de stimuler les chefs d’entreprise à la prise de risque. Non, dira, catégorique, Houssine Abassi, il faut plus d’investissement. Et ce ne sont pas les droits sociaux qui plombent le dynamisme d’une économie.
A quelqu’un qui lui faisait observer que la France qui compte beaucoup de protections connaît le plus fort taux de chômage en Europe, Houcine Abassi répliquera que la Scandinavie offre de solides acquis et n’est pas concernée par le chômage élevé. La question nécessite l’intervention des pouvoirs publics pour connaître une issue acceptable.
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