Ce n’est pas un don du ciel que de prendre en main les destinées d’une Tunisie fragilisée par une transition par trop longue et trop compliquée après le passage de 5 gouvernements. Les prochains maîtres du pays auront du pain sur la planche et principalement dans le domaine socioéconomique.
Mehdi Jomaâ a relativement balisé le terrain sécuritaire miné avant son arrivée au pouvoir, en entreprenant une stratégie visant une plus grande coordination entre les départements sécuritaires, en implantant une base de la garde nationale à Ben Guerdane pour lutter contre la contrebande et en couronnant le tout par la création des deux pôles judiciaire et sécuritaire, mais ne pouvait tout «révolutionner».…
D’après un observateur de la scène sécuritaire, s’il n’y avait pas eu ce mouvement social important et une dynamique de la société civile qui a poussé le gouvernement de Ali Larayedh vers la porte de sortie, Abou Yadh, auquel l’ancien ministre de l’Intérieur a offert la liberté, aurait pu être aujourd’hui l’Emir des Croyants made in Tunisia ou l’un des conseillers de guerre du 6ème Calife dans une Tunisie reconquise.
Nombreux sont ceux qui s’attendaient à des décisions plus audacieuses et même révolutionnaires dans l’économique et le social en 2014 puisque prises par un gouvernement issu d’un consensus national sans ambition de reconduction. Cela aurait pu se réaliser mais non sans grandes difficultés car le terrain était miné et chaque partie tirait vers elle y, compris celles qui ont participé au Dialogue national.
En voulant lancer le Dialogue national économique, le chef du gouvernement, en poste aujourd’hui, ambitionnait un consensus qui lui aurait permis d’engager rapidement certaines réformes importantes. Erreur! Les participants issus des syndicats et des partis politiques se sont tous transformés en experts économiques hors pair détenant la vérité absolue. Le Dialogue, faute d’accélérer la prise des grandes décisions, les a encore plus ralenties et des fois bloquées!
Comment évaluer aujourd’hui la situation économique du pays? «Elle n’est pas brillante, répond Ezzeddine Saïdane, de Directway Consulting, mais nous pourrions œuvrer pour une relance rapide sous réserve de certaines conditions».
La première est bien entendu une stabilité politique qui ne peut être réalisée avec un président-candidat qui a prouvé tout au long de ces trois années de provisoire une incapacité ou une absence de volonté à unir les rangs des Tunisiens, qui a officieusement, par son silence, soutenu l’économie hors-la-loi, la contrebande et le commerce parallèle et qui a montré une indifférence révoltante quant aux risques sécuritaires encourus par le pays. Rien de plus naturel, ses plus proches amis étant les LPR.
Des indicateurs économiques au rouge
Tous les voyants des fondamentaux économiques sont aujourd’hui au rouge, à commencer par le taux de croissance qui ne dépassera pas les 2%, l’inflation devenue structurelle et qui a atteint les 6%, le déficit budgétaire qui reste délicat bien que reculant de 9 à 6,5% et enfin le déficit de 14 milliards de dinars de la balance commerciale, presque la moitié du budget de l’Etat en 2014. Soit 1,2 milliard de dinars par mois. «Lorsque ce déficit atteint les 3%, nous lancions un cri d’alarme mais dès qu’il atteint les cimes des 9%, cela devient hors contrôle».
Le déluge ne s’arrête pas là, le taux d’endettement extérieur a dépassé les 50% avec un taux d’épargne qui a reculé de 22% en 2010 à 13,5% en 2014.
Est-ce à dire que la situation est désespérée et le pays en faillite? Non grâce à Dieu et à celui du refus du gouvernement en place d’obtempérer aux revendications sociales, le moins qu’on puisse dire, déplacées en situation de détresse économique et également à la baisse des prix des hydrocarbures.
Reste que l’économie nationale a besoin d’un coup de fouet pour redémarrer et qui doit commencer par la relance des investissements nationaux et internationaux. Ce qui implique une stabilité et une cohérence politique, un contexte sécuritaire rassurant, une lutte efficace et sévère face à l’évolution des pratiques des opérateurs économiques hors-la-loi -qui voteront tous Marzouki car ils ont prospéré sous son règne- et la restructuration du système bancaire.
Un système bancaire et principalement les banques publiques (STB, BNA et BH), qui ne réussissent pas à sortir des mailles du filet des créances accrochées depuis des années, des gestions incohérentes suivies de PDG en PDG et de gouvernement en gouvernement, et des manigances de certains opérateurs économiques qui ont directement ou indirectement œuvré à leur fragilisation. Le système bancaire, «ce réacteur principal de l’économie», doit être remis sur orbite.
Pour ce, le gouvernement actuel a décidé de vendre toutes ces participations dans les autres banques comme la BTE, la BTK, Zitouna Bank, la BTL, la STUSID et les autres. Le pactole ramassé ira boucher les trous des banques publiques pour leur permettre de se refaire une santé. Mais il ne s’agit pas que d’argent, il s’agit également d’une meilleure gestion et de la volonté de secouer les vieilles habitudes.
Lors d’une récente interview, Hakim Ben Hammouda, actuel ministre de l’Economie et des Finances, a déclaré que les PDG de toutes les banques publiques seraient remplacés à la fin de l’année. Est-ce le plus important à ce stade?
La réforme de la fiscalité, si bien faite, sera à elle seule un levier économique important et un facteur encourageant pour les nouveaux investisseurs mais pas seulement. Il s’agit de redessiner les stratégies des politiques monétaires suivies à ce jour et lesquelles, paraît-il, ne sont pas les meilleures. Chedly Ayari n’est pas le virtuose économique que l’on pensait au regard de son exercice au sein de la Banque centrale. A part le fait d’injecter régulièrement des liquidités dans le système bancaire, la gestion du taux de change et celle du taux d’intérêt n’ont pas servi au mieux l’économie nationale, sans parler du rôle de superviseur de la BCT, apparemment inscrit, ces dernières années, aux abonnés absents…
Les éventuels donateurs attendent…
Mais, mais, mais la relance de l’économie nationale, l’amélioration du climat d’affaires et la relance de l’investissement resteront tributaires de l’issue des urnes ce dimanche 21 décembre.
A l’international, les pays prêts à aider la Tunisie comme ceux du Golfe, l’Allemagne, les Etats-Unis ou le Canada ne s’y risqueront pas dans un contexte où l’instabilité politique et même sécuritaire guetteraient notre pays.