A j-2 du second tour de l’élection présidentielle, et en suivant le développement des campagnes électorales des deux candidats, on peut dresser déjà les caractéristiques majeures de l’électorat de Béji Caïd Essebsi et de Mohamed Moncef Marzouki. Ces portraits reflètent en fait deux Tunisie qui s’opposent sur plusieurs plans, mais cette division ne date pas d’aujourd’hui comme elle ne s’arrêta pas le 21 décembre….
La géographie électorale du premier tour de l’élection présidentielle révèle des données incontournables pour comprendre et suivre les soubresauts de la campagne électorale et déchiffrer, d’avance, ensuite les résultats du 2ème tour…
Ainsi en est-il des résultats de Moncef Marzouki qui a raflé la première place dans presque tous les gouvernorats du sud, il a fait presque jeu égal à BCE à Sfax et ne s’est pas mal débrouillé à Sidi Bouzid et Kasserine.
De son côté, le candidat de Nidaa Tounes a réussi à avoir la première place dans les grandes agglomérations du Grand Tunis, du Sahel et dans les gouvernorats du nord-ouest…
Mais même si cette géographie du vote des Tunisiens a fait couler beaucoup d’encre sur la division du pays, elle n’est qu’en apparence déterminante dans la compréhension de ce vote.
Le vote pour Marzouki a été assuré principalement par les sympathisants d’Ennahdha, en ce sens que ce dernier n’avait en fait pas de base électorale propre -on a vu les résultats maigrichons de son parti CPR aux législatives. C’est dire que le vote du premier tour de la présidentielle a été en fait un 2ème tour des législatives. «Le peuple d’Ennahdha», comme Marzouki l’a appelé, a voté pour Marzouki en votant contre Béji et contre Nidaa qui l’a dépassé aux législatives.
Les sympathisants d’Ennahdha sont en majorité issus de la vieille fracture entre la Tunisie moderniste de Bourguiba et la Tunisie traditionnaliste d’Abdelaziz Thaalbi. Cette fracture sur laquelle s’est greffé le message «ikhwanis» d’Ennahdha a aussi récupéré la division entre les youssefistes et Bourguiba, comme elle a récupéré toutes les rancunes des régions marginalisées par 60 ans de Bourguiba, de Ben Ali et du parti Destour. Sur ce résidu hétéroclite est venue se greffer la nouvelle division voulue par MMM entre les révolutionnaires, qu’il incarne d’après lui, et les «azlem» de l’ancien régime incarné par BCE, vil serviteur de Bourguiba et de Ben Ali dans les discours de la campagne de Marzouki.
De son côté, BCE n’a pas lésiné en adjectifs pour bien se démarquer de son rival, et il est allé à qualifier les votants de MMM, en plus d’être Nahdhouis, d’être également proches des LPR, des salafistes et des «extrémistes» en général.
Les deux candidats se retrouve, enfin de compte, à représenter, sans le vouloir peut-être, deux Tunisie qui ont toujours existé et qui existent encore et peut-être pour longtemps. La Tunisie urbaine, moderniste et ayant bénéficié du développement du pays même dans le giron de l’ancien régime -elle comporte des natifs des villes du nord mais également beaucoup des migrants du sud et de l’ouest qui constituent une grande partie des habitants agglomérés pour cause économiques dans la capitale et au Sahel. De l’autre côté, la Tunisie rurale, encore pauvre et traditionnelle dans ses approches sociologiques, longtemps oubliée et déconsidérée par les régimes de Bourguiba et de Ben Ali……