La Tunisie vient de perdre le poste de directeur général de l’Union des Radio et Télévisions arabes (ASBU), relevant de la Ligue des Etats arabes et dont le siège est à Tunis. Ce poste a été occupé, depuis plus de vingt ans, par des Tunisiens en vertu d’une tradition de la Ligue selon laquelle le pays hôte d’une de ses organisations a l’avantage de nommer, parmi ses ressortissants, le premier responsable de cette institution.
En voici les circonstances et les non-dits de cette perte.
Le candidat tunisien pour 2014, Rachid Khechana, pourtant un des meilleurs journalistes du monde arabe et figure de proue du militantisme contre les dictatures de Bourguiba et de Ben Ali, n’a pas été élu, lors de l’assemblée générale de l’ASBU tenue le 9 décembre 2014 au Koweït. C’est un technicien –bien technicien- soudanais exerçant à l’ASBU, Abderrahim Souleimane, qui l’a emporté, au 2ème tour, avec 12 voix.
Pour avoir ce poste, la diplomatie soudanaise aurait mis le paquet et carrément acheté les voix des représentants de Somalie, des Iles Comores et de Djibouti auxquels elle aurait payé les billets d’avion -sachant que d’habitude ces pays ne participent pas aux assises de l’ASBU.
Le candidat jordanien, arrivé second au 2ème tour avec 7 voix, a bénéficié, à son tour, d’un excellent lobbysme diplomatique. Quelques jours avant l’assemblée de l’ASBU, le ministre jordanien des Affaires étrangères avait défendu la cause de son candidat auprès de ses collègues des Emirats arabes unis, de Bahreïn, du Liban et d’Arabie Saoudite. Cette démarche explique grandement le bon score du candidat jordanien.
Au même moment, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, «faisait les courbettes» au secrétaire général de l’ONU Ban ki-moon pour décrocher le poste de chef de la MINUSMA (Mission onusienne au Mali). Il a été nommé vendredi 12 décembre 2014, c’est-à-dire trois jours seulement après l’assemblée générale de l’ASBU.
Les raisons d’un échec (presque) attendu
Globalement, Rachid Khechana impute, sur sa page facebook, cet échec à quatre facteurs qui ont joué en sa défaveur.
Premièrement, sa candidature retenue, parmi quatre autres, après des consultations intenses entre le Premier ministère, le ministère des affaires étrangères et la présidence provisoire de la République sur la base de critères purement professionnels, était mal engagée. Elle était transmise très en retard. Elle n’a été présentée officiellement aux instances concernées qu’au mois d’avril 2014, c’est-à-dire avec le gouvernement Mehdi Jomaa alors qu’elle devait être transmise aux instances concernées en janvier 2014.
Deuxièmement, il estime que le candidat tunisien a recueilli certes quatre voix sur un total de vingt, mais cela est dû en grande partie à la volte-face, lors du vote, de quatre pays importants (Arabie saoudite, Maroc, Koweït, Liban) qui s’étaient engagées, auparavant et par lettres officielles, à voter pour la Tunisie. N’eut-été ce désengagement à la dernière minute, le candidat tunisien aurait été, selon lui, élu premier devant les trois autres concurrents.
Troisièmement, Rachid Khechana a fait mention spéciale pour le Koweït au profit duquel la Tunisie dont le tour est arrivé pour assurer la présidence de l’ASBU, s’est désisté, aux termes d’un accord convenu avec le directeur général sortant en contrepartie d’un vote pour le candidat tunisien à la direction générale. Seulement le Koweït n’a pas honoré son engagement et a voté pour le candidat soudanais.
Quatrièmement, le directeur général sortant, c’est-à-dire le «Tunisien» Slaheddine Maouia, a surpris tous les participants en avançant d’une journée le vote alors que le représentant de Libye devait arriver le jour du vote comme le prévoyait l’ordre du jour de l’assemblée. Cette décision malheureuse, qui n’a été contestée que par la délégation tunisienne, a compromis les démarches lobbyistes tunisiennes en faveur de Rachid Khechana. Comme quoi, on n’est jamais trahi que par les siens.
Plaidoyer pour une mise à niveau de la diplomatie tunisienne
Réagissant à cet échec, la presse locale, au lieu de dénoncer l’irresponsabilité de la diplomatie tunisienne, s’en est prise au candidat malheureux. Certains plumitifs se sont relayés pour relever que «Rachid Khechana a été écarté par ce qu’il était le candidat de Marzouki». Or, selon nos informations, plus exactement selon un ancien conseiller de la présidence provisoire, le candidat du président Marzouki était le directeur général de l’Office national de la Télédiffusion. Une missive officielle a été transmise, à cet effet, à la présidence du gouvernement et au ministère des Affaires étrangères. Dont acte.
Au-delà de la déception, la perte de ce poste régional fait, particulièrement, mal. Sa négociation dans la presse fait encore plus mal. Néanmoins, elle vient confirmer de manière claire l’incompétence de la diplomatie tunisienne et son incapacité à conserver les postes internationaux et régionaux que le pays a eus à abriter et dont ses cadres ont eu à occuper. Cette inaptitude s’est illustrée de manière criarde après le soulèvement du 14 janvier 2011, voire au temps de la Troïka.
Est-il besoin de rappeler ici la perte des postes de directeur général de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO, lire notre article: Culture: Les Maghrébins ne seraient plus bien vus à l’ALECSO) dont le siège est à Tunis (janvier 2013) et du directeur du bureau de normalisation (TSB) relevant de l’Union internationale des télécommunications (fin octobre 2014).
A signaler également dans le même contexte, l’échec de la relocalisation en Tunisie de prestigieuses institutions comme la Ligue des Etats arabes restituée à l’Egypte après onze ans (1990) et la Banque africaine de développement retournée en Côte d’Ivoire en septembre 2014.
C’est pour dire au final qu’une mise à niveau de la diplomatie tunisienne s’impose plus que jamais.
———————–.