Crash du prix du pétrole
Depuis juillet 2014, le prix du baril de pétrole n’a cessé de baisser de façon vertigineuse, au point de ne plus parler de ‘chute’, mais plutôt de «crash pétrolier»! En effet, le prix du Brent, qui cotait entre 100 $/baril et 120 $/b durant 2013 et jusqu’en juin 2014, a depuis brisé toutes les barres symboliques des 80 $/b, puis 70 $/b, pour atteindre à peine 66,8 $/b le 10 décembre (63.82 $/b pour le WTI Américain), Fig.1.
Ceci constitue une baisse substantielle d’environ 40% en moins de 6 mois, et le prix du baril a atteint son plus bas niveau depuis 2010!
Raisons apparentes du crash pétrolier
Deux raisons principales sont mises en avant. D’abord, la «loi du marché». En effet, d’un côté, la stagnation des économies européenne et japonaise dont la croissance ne dépasse guère les 2%, combinée avec la croissance modérée de la Chine et de l’Inde (7 à 8%), qui a eu pour effet une baisse sensible de leur demande en pétrole. De l’autre côté, une offre constante, voire en légère hausse des pays de l’OPEP, autour de 30,6 millions de barils par jour (Mb/j), aggravée par un apport substantiel d’autres pays; le total de l’offre avoisinant les 94,2 Mb/j, résultant en un surplus important de 1,8 Mb/j!
La 2ème raison évoquée tient aux sanctions que les USA et la Communauté européenne, en connivence avec l’Arabie Saoudite, imposent ou veulent imposer à la Russie et à l’Iran, dont les économies sont fortement dépendantes des exportations de pétrole (et de gaz). Cette chute du prix du baril a commencé à «faire des dégâts» non seulement aux pays visés, mais aussi au reste des pays du Cartel, en particulier le Venezuela ou le Nigeria qui auront du mal à clôturer leur budget 2014. D’ailleurs, les représentants de ces pays ainsi que celui d’Iran ont tout fait, lors de la dernière réunion de l’Opep à Vienne, le 27 novembre, pour amener les membres du Cartel, en particulier l’Arabie Saoudite, à diminuer leur quota, mais sans résultat. Ceci a d’ailleurs précipité davantage le prix du baril dans sa chute!
Les vraies raisons, cachées ou non avouées du crash pétrolier
Les raisons évoquées plus haut ont incontestablement contribué à la baisse du prix du baril. Mais cette baisse aurait pu être rectifiée, si les membres de l’Opep, et à leur tête, l’Arabie Saoudite, avaient consenti une diminution de leur Production, comme ils l’ont fait auparavant. En fait cette fois-ci, l’enjeu est différent, et la vraie raison est autre: il fallait «à tout prix» tuer dans l’œuf la «Révolution du schiste» qui a pris naissance aux USA et au Canada, et qui est en train de faire des émules dans bien d’autres pays tels que l’Australie, la Chine, l’Argentine, l’Algérie, etc.! Certains vont même jusqu’à parler de «conspiration» contre l’Oncle Sam!
En effet, depuis leur coup d’accélérateur, en 2007, pour le développement du gaz et du pétrole de schiste, grâce aux forages horizontaux et à la fracturation hydraulique, les USA ont réussi le tour de force pour passer d’un pays net importateur de pétrole et de gaz à un pays (presque) autosuffisant, voire bientôt en position d’exportateur!
Le prix du gaz aux USA est maintenant 3 à 4 fois moins cher qu’en Europe ou au Japon, et leur déficit en pétrole, qui a atteint 4 Mb/jour en 2005-2006 est pratiquement comblé (Fig.3). Ceci a évidemment un impact dramatique sur la nouvelle Géopolitique mondiale en matière d’énergie, et qui est bien évidemment «malvenu» par les membres de l’Opep.
A qui profite le crash pétrolier?
Un prix bas du pétrole, surtout si ceci se prolonge, profitera évidemment aux pays importateurs, et aux consommateurs de ces pays. Pour la Tunisie, la balance commerciale sera moins déficitaire, ce qui allègera aussi la Caisse de compensation, et il est fort probable que les prix des carburants, du gaz et de l’électricité n’augmenteront pas en 2015.
Ceci aura aussi une répercussion positive sur les industries grosses consommatrices d’énergie, et plus généralement sur l’économie mondiale qui pourra repartir vers une croissance plus soutenue.
Qui sont les «perdants» alors? Ce sont en 1er lieu les pays exportateurs dont les membres de l’Opep, et en (grande?) partie l’industrie pétrolière, et particulièrement son activité amont (exploration et production). Ce prix bas du baril, s’il se prolonge, ce qui semble être l’objectif de l’Opep, affectera encore plus sévèrement les «pétroliers du schiste», et il est fort probable que l’on parlera en 2015 de «crash du schiste»!
En effet, l’examen de la Fig.3 montre clairement que si le prix du baril se maintient entre 60$ et 65$, bon nombre de bassins pétroliers du schiste aux USA, ne seront plus rentables, y compris de larges zones des bassins les plus prolifiques, tels que le Permian Basin, Bakken ou Eagle Ford. Leur prix de revient ou «Breakeven Price» deviendra en effet plus élevé que le prix de vente. Il est clair qu’un certain nombre parmi les 716 appareils de forage, actuellement en activité dans ces 3 bassins perdront leurs contrats. Déjà certaines sociétés pétrolières ou de services ont révisé à la baisse leurs budgets d’investissements pour 2015, et il est fort possible que les plus vulnérables d’entre elles, déjà bien endettées, risquent la faillite!
Conclusion
Mais alors, l’objectif de l’Opep, et en particulier de leur leader, l’Arabie Saoudite, de regagner leur part de marché, et de mettre un terme à cette «Révolution du schiste» serait-il atteint? Oui, peut-être à court terme, et à condition que l’Opep puisse maintenir ce prix bas du baril pour longtemps encore. Mais dès que le prix grimpera, la «machine du schiste» -qui aura trouvé le moyen de comprimer ses coûts de revient- redémarrera à nouveau, et de plus belle! L’Arabie Saoudite est probablement en train de jouer au «poker menteur», car il est bien difficile d’arrêter une révolution qui marche…! L’avenir le dira.
Entre temps, notre pays et le prochain gouvernement continueront à profiter de cette ‘aubaine’ inespérée….