Des camions portant l’enseigne «transport de marchandises» stationnés devant le palais de Carthage avec pour mission de transporter les archives présidentielles, c’est manifestement l’image diffusée par les chaînes de télévision de la place qui nous a le plus interpellés dans l’affaire de la tentative avortée de Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance Vérité et dignité, de saisir, vendredi 26 décembre, ces documents.
Cette image choquante vient confirmer, de manière éloquente, le degré de clochardisation qu’a connu, au temps de Moncef Marzouki, ce haut lieu symbolique de la République tunisienne, en l’occurrence le palais de Carthage.
Elle est d’autant plus offensante lorsqu’on sait que cette expédition de l’IVD avait pour objectif de camionner sur de vulgaires engins, sans aucune escorte sécuritaire et vers un endroit inconnu, une précieuse partie de notre mémoire.
De toute évidence, il y a là un acte d’irresponsabilité, d’inconstance, de légèreté et d’insouciance qui dit long sur l’incompétence de Sihem Ben Sedrine, nommée, par un caprice de l’histoire, présidente de l’IVD à la faveur d’un coup de pouce de son protecteur, un président provisoire inconséquent et foncièrement revanchard et ingrat, jusqu’à la dernière minute de son mandat.
Un acte de banditisme institutionnel
Cet acte de banditisme institutionnel rappelle bizarrement les techniques utilisées par les milices des Ligues de protection de la révolution que Sihem Ben Sedrine a toujours soutenues: l’effet de surprise, choix de l’heure (celle de la relève de la garde présidentielle), prière du vendredi, la veille d’un week-end et à trois jours de la passation des pouvoirs.
D’ailleurs, il n’est pas exclu que les camionneurs aux accoutrements de malfrats et de bandits notoires soient des membres de ces milices violentes.
Pourtant il y avait d’autres solutions
Pour revenir à la légalité de cet acte, rappelons que la loi régissant l’IVD fait mention dans son article 40 que l’Instance a le droit d’accéder, sans autorisations préalables, aux archives, et non de les saisir. Et même si l’Instance avait des doutes et craignait une éventuelle destruction de ces archives, mémoires, elle aurait pu, selon les juristes, se contenter de les sceller en présence d’un magistrat ou d’un huissier notaire. Ces sous-scellés auraient été une solution idéale d’autant plus que l’IVD ne dispose pas de la logistique requise (locaux pour un archivage adéquat et sécurisé, personnel pour la numérisation…).
En outre, conformément à l’article 63 du règlement intérieur de l’IVD, l’avocat Mokhtar Trifi estime que seule «la Commission de la préservation de la mémoire nationale» est habilitée à accéder aux archives, à collecter les données y afférentes et à recommander les canaux de leur prise en charge par l’Etat et ses institutions. Cette commission, composée de neuf membres dont deux désignés parmi les membres de l’IVD, et les sept autres choisis sur appel à candidatures à raison de deux universitaires documentalistes archivistes, deux historiens, deux spécialistes en droits de l’homme, deux figures des arts et lettres, et un architecte.
Au grand dam de Sihem Ben Sedrine, cette commission n’a pas encore vu le jour.
Une précipitation douteuse
La question qui se pose dès lors: pourquoi cet empressement et cette précipitation à saisir ses archives?
D’ailleurs que valent réellement ces archives que le président sortant a eu à manipuler en toute impunité (histoire du “Livre noir“ sur les journalistes). Qui peut prouver que le président sortant n’a pas photocopié les archives sur ses futurs adversaires directs?
Est-il besoin de rappeler qu’au début du mandat de Marzouki, et au temps où Imed Daimi, actuel secrétaire général du CPR, était son directeur de cabinet, des rumeurs folles avaient circulé sur l’autorisation accordée à la chaîne Al Jazeera pour photocopier ces archives.
Cela pour dire que pour le Tunisien moyen, ces archives ne l’intéressent pas. Elles n’ont de valeur que pour les historiens.
Il faut rendre hommage aux agents de la garde présidentielle (direction et syndicats -bien direction et syndicats) qui ont eu le courage et le flair d’empêcher ces envahisseurs aux desseins inavouables d’accéder au palais. Ce sont de véritables commis d’Etat qu’il importe d’honorer comme des héros nationaux.
Quant à Sihem Ben Sedrine, ses jours sont hélas comptés à la tête de l’IVD. Sa mésaventure lui coûtera cher et entachera énormément sa crédibilité. Elle a confirmé tout le mal qu’on dit d’elle, particulièrement les trois membres qui ont démissionné de l’IVD «pour protester contre ses pratiques dictatoriales». Cas de Khemaies Chammari et de Noura Borsali.