A quoi devrons-nous nous attendre du discours de Béji Caïd Essebsi ce mercredi 31 décembre qui verra enfin son investiture en tant que président de la Deuxième République?
Peut-être à ce qu’il annonce sa vision et les grandes lignes de sa politique nationale et internationale et les chantiers prioritaires auxquels il compte s’attaquer. La Tunisie encensée à l’international car, paraît-il, “une exception dans le monde arabo-musulman“, réussira-t-elle le passage d’une démocratie embryonnaire à une institutionnalisation des structures et des pratiques démocratiques?
Le discours du président de la République sera éminemment politique. Il ne pourrait toutefois pas éviter de parler des défis sécuritaires et socioéconomiques auxquels fait face aujourd’hui la Tunisie et qui sont déterminants dans la réussite du processus démocratique.
«Nous voulons instaurer la sécurité dans un pays entouré d’insécurité de toutes parts», vient de déclarer BCE au Washington Post. Il a aussi parlé de renforcer la démocratie.
Sur le front socioéconomique, il déplore le fléau du chômage, celui de l’appauvrissement de la classe moyenne et les disparités entre les différentes régions. Il a insisté sur la nécessité d’améliorer les conditions de vie des Tunisiens et de lancer au plus tôt un plan pour l’amélioration des services de santé et l’encouragement des investissements dans des projets porteurs. Le but est non seulement de répondre à une revendication importante exprimée le 14 janvier 2011, à savoir juguler le chômage des jeunes et principalement diplômés, mais éviter que ces jeunes pauvres et vivant dans la précarité deviennent de la chair à canon pour les recruteurs de Daech et d’Al Qaïda.
Ce qui fut fait avec maestria du temps du règne de la Troïka.
Le hic dans tout cela est que BCE ne s’exprime pas en prenant en compte ses prérogatives en tant que président de la République mais déborde sur celles théoriquement accordées par la Constitution au chef du gouvernement.
Est-ce ce qui explique que le choix des membres du gouvernement ait été reporté au dénouement des élections présidentielles?
Aurions-nous un super président doté du pouvoir de la légitimité miraculeuse acquise en très peu de temps par la création d’un parti patchwork et un chef de gouvernement aux ordres?
Mieux encore, la mission du choix du futur chef du gouvernement devrait-elle revenir à Béji Caïd Essebsi -aujourd’hui démissionnaire et président de tous les Tunisiens- ou aux membres de Nidaa Tounes, parti majoritaire à l’Assemblée des représentants du peuple?
Nous ne pourrions le savoir avant l’annonce officielle du nom du futur chef de gouvernement et la découverte du profil de l’élu. Serait-il autonome et maître de ses décisions ou une marionnette aux mains du président en exercice aujourd’hui?
Nombreux sont ceux qui assurent que BCE se veut l’artisan de grandes réalisations. Il voudrait, semble-t-il, finir sa vie politique en beauté en mettant la Tunisie sur le droit chemin comme son inspirateur Bourguiba. Le pourra-t-il? Y réussira-t-il?
Des indicateurs qui ne sont pas rassurants…
Les signes avant coureurs ne semblent pas rassurants même si le vieux loup de la politique qu’est BCE semble sincère et réellement soucieux de sauver une jeune démocratie qui fait face à de nombreux obstacles et en prime une classe politique, en grande partie, plus soucieuse d’elle-même que du pays et de la patrie.
Cela fait plus de deux mois que se sont tenues des élections parlementaires –c’était le 26 octobre 2014-, et plus de deux semaines celle de la présidentielle. Le parti Nidaa est sorti vainqueur des deux, mais l’absence apparente, en tout cas publiquement, d’une vision claire de ses dirigeants quant à la configuration du nouveau gouvernement et du choix de son chef, laisse place à nombre de spéculations. Des spéculations et un flou politique qui ne rassurent ni les électeurs de Nidaa ni ceux d’Ennahdha, et encore moins ceux des autres partis et l’international.
Les déclarations sporadiques des députés Nidaa à propos des discussions, négociations ou engagement du parti avec ses partenaires ou rivaux politiques mettent de l’huile sur le feu des doutes et des suspicions des Tunisiens dont la confiance dans la classe politique est très approximative. Des déclarations décousues, contradictoires et qui annonceraient plus une fission au sein d’un parti qui n’a jamais brillé par une trop grande cohésion et construit autour d’une personnalité emblématique: celle de Béji Caïd Essebsi, qu’autre chose.
L’euphorie de ceux qui pensaient le Nidaa protecteur d’un projet sociétal tuniso-tunisien œuvrant pour la sauvegarde des acquis du pays depuis l’indépendance, sa modernité, sa dimension républicaine et ses ambitions progressistes, risquerait de disparaître devant les ambitions des uns et les égos disproportionnés des autres.
Consensus, oh mon doux souci
Un parti sorti vainqueur des urnes qui chercherait le consensus pour la composition du prochain gouvernement et dont certains députés annoncent publiquement que rien ne se fera sans l’accord d’Ennahdha. A quel prix? Celui de la perte de ses électeurs? Bizarre, incongrue et antidémocratique!
Le parti islamiste aurait eu au moins le mérite de former sa Troïka et d’anticiper la formation du gouvernement. Il n’a pas attendu la bénédiction des autres formations politiques pour constituer son propre gouvernement et encore moins celle du quartet qui n’existait pas à l’époque, car il n’y avait pas de blocage politique. Il y a eu élections, et les vainqueurs se devaient d’assumer et d’assurer.
A trop vouloir le consensus, on tue le consensus. S’il est prudent d’avoir l’appui de certains partis, acteurs de la société civile et celui des partenaires sociaux pour assurer le succès de la deuxième République, il ne faut quand même pas oublier qu’il y a eu élections en Tunisie. Une majorité a choisi, et le jeu démocratique se traduit sur terrain par la responsabilité du parti vainqueur à décider, diriger et mener le pays vers la rive du Salut. En est-il capable? C’est la grande question. S’il y a doute à ce propos, il aurait été plus utile pour nous, tous autant que nous sommes, d’adopter la position du Cheikh Rached Ghannouchi qui avait appelé, il y a quelques mois, à un consensus autour de la personne du président et à un gouvernement d’unité nationale. A quoi bon avoir organisé en l’espace de deux mois trois élections? Perdu plusieurs millions de dinars pour revenir à la case départ et être dans l’incapacité de bouger le petit doigt sans que le tout beau monde politique -et Dieu sait s’il y en a en Tunisie- soit convaincu!
Le malheur est que dans toutes ces joutes politiques que nous vivons ces dernières semaines, on parle peu ou mal de projets socioéconomiques, de modes sociétaux et d’orientations politiques. Tout tourne autour des personnes donc retour à la case départ: sacralisation des personnes. Soyons honnêtes, ce n’est pas demain la veille que se fera une démocratie dans un pays comme le nôtre.
La démocratie est une culture qu’on inculque dès le plus jeune âge. Elle n’est pas pour les amateurs ou un leadership sans vision, sans convictions et encore moins incapable de choisir, de trancher et de décider. Dans vingt ou trente ans, peut-être…
A cœur vaillant, rien n’est impossible!