à Strasbourg, en 2013 (Photo : Frederick Florin) |
[31/12/2014 13:04:43] Paris (AFP) Longtemps anecdotique, l’impression en trois dimensions trouve des usages multiples, notamment dans l’industrie de défense, qui pourraient annoncer une nouvelle révolution industrielle, selon les experts.
Pour beaucoup, l’impression 3D demeure un gadget, tout juste bon à reproduire de banales figurines en plastique. Mais avec l’expiration récente de plusieurs brevets cruciaux, de nouvelles imprimantes capables d’utiliser métaux, bois ou tissus vont devenir beaucoup plus accessibles, laissant entrevoir un bouleversement historique pour le monde manufacturier.
Toujours à l’affût de nouvelles technologies, la puissante industrie de la Défense est aux avant-postes de cette innovation. L’armée américaine investit massivement dans l’impression tridimensionnelle afin de pouvoir produire des uniformes, de la peau synthétique pour soigner ses blessés, voire même des aliments, explique Alex Chausovsky, analyste de IHS Technology.
Des chercheurs du célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) ont même déjà inventé “l’impression 4D”, avec des matériaux qui se transforment au contact d’autres éléments, comme l’eau. Cela pourrait aboutir un jour à la fabrication d’uniformes caméléon qui changeraient de couleur en fonction de l’environnement.
La technologie connaît déjà ses premières applications pratiques.
Fin décembre, l’équipage de la Station spatiale internationale (ISS) a pu fabriquer, grâce à une imprimante 3D spécialement fabriquée pour l’apesanteur, une sorte de clé anglaise dont le dessin a été envoyé de la Terre.
Fin 2013, le géant britannique de l’armement BAE Systems a intégré pour la première fois une pièce de métal imprimée à un chasseur Tornado. Dans une vidéo récente, le groupe imagine de possibles usages pour l’avenir, avec par exemple l’impression tridimensionnelle d’un avion.
“C’est une perspective de long terme, mais nous avons effectivement pour objectif de fabriquer un aéronef en utilisant exclusivement la technologie de l’impression 3D”, explique à l’AFP Matt Stevens, responsable de la division impression 3D chez BAE.
– Révolution et nouveaux risques –
Pouvoir emporter des imprimantes sur un champ de bataille pourrait aussi bouleverser les techniques de combat et l’industrie de la Défense, souligne Peter W. Singer, expert de la guerre du futur au sein de la New America Foundation.
“Des soldats postés au fin fond de l’Afghanistan pourraient par exemple créer un logiciel pour fabriquer une pièce détachée et l’imprimer”, loin des chaînes de production des usines d’armement.
En matière de politique étrangère, la technologie viderait de son sens la pratique des sanctions.
“Les Etats-Unis ont imposé des sanctions sur tout, des pièces de rechange des avions de combat aux équipements pétroliers. Mais l’impression 3D pourrait rendre totalement obsolètes ces sanctions – qui ont constitué une part cruciale des politiques étrangères depuis plus d’une génération”, souligne M. Singer.
Mais cette facilité à produire des armes en dehors des circuits industriels classiques ferait aussi émerger de nouveaux risques.
“Imaginez des experts en explosifs du Moyen-Orient qui se mettraient à fabriquer des bombes à l’apparence d’objets du quotidien ou un loup solitaire imprimant une arme en plastique avec laquelle il pourrait tromper les portiques de sécurité de la Maison Blanche”, avertit M. Chausovsky.
Outre ce risque sécuritaire accru, il s’agirait surtout d’une révolution économique aux conséquences imprévisibles.
Si tout un chacun peut se mettre à imprimer des biens, les pays, dont l’économie repose sur la production de jouets ou de vêtements par une main d??uvre à bas coûts, pourraient se trouver en réelle difficulté.
“Si vous voulez mieux appréhender la menace que fait planer l’impression 3D, voyez à quel point la Chine est dépendante de son secteur de fabrication bas de gamme”, souligne M. Chausovsky.
Inventée dans les années 80, l’impression 3D est une technologie moins nouvelle que beaucoup l’imaginent. Mais elle bénéficie d’un regain d’intérêt, car les brevets qui limitaient l’usage de la technologie d’origine sont en train d’expirer, ouvrant la voie à une concurrence qui devrait faire progresser la qualité et baisser les prix.
“On ne peut pas creuser un trou incurvé”, souligne M. Chausovsky. “Avec l’impression 3D, on peut créer des produits qu’il serait impossible de produire avec des méthodes traditionnelles”.
L’ampleur des implications est encore difficile à prédire.
“C’est la première fois depuis très longtemps qu’intervient un bouleversement aussi radical en matière d’ingénierie industrielle”, observe le responsable de BAE. “Nous ne réalisons pas un simple progrès, nous réinventons les règles”.