Dès la proclamation officielle de la victoire de Béji Caïd Essebsi au 2ème tour de la présidentielle, des chefs d’entreprise de presse et des directeurs de journaux, réputés pour avoir été des porteurs d’encensoirs du dictateur déchu Ben Ali, ont exulté et pété de joie.
Le responsable d’une chaîne privée, qui a soutenu sans réserve le candidat vainqueur, est entré en transe en dansant comme un fou, aux côtés d’un des proches collaborateurs du nouveau président. Apparemment, il est sûr de bénéficier du retour de l’ascenseur et d’être récompensé pour services rendus.
Certains, qui ont pris la décision de se terrer et de se faire oublier depuis le 14 janvier 2011, commencent, après l’annonce de la victoire de BCE, à s’afficher, ostentatoirement, sur la place publique.
Manœuvres pour la restitution des privilèges
D’autres, regroupés au sein de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux FTDJ, ont été plus pragmatiques. Ils ont pris l’initiative de préparer le terrain et ont entamé des négociations avec le gouvernement sortant en vue de la restitution des avantages dont ils bénéficiaient antérieurement. Il s’agit notamment de la manne de la publicité de l’Etat que leur fournissait généreusement la poule qui pond de l’or, l’ancienne Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE).
Dans cette optique, le chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, a rencontré mercredi 17 décembre 2014, au palais du gouvernement à La Kasbah, une délégation de la FTDJ.
L’objectif officiellement annoncé serait de présenter les différentes préoccupations du secteur de la presse écrite et électronique. Mais en réalité, l’entretien a porté sur la restauration, sous une autre appellation, de la sinistre ATCE.
Concrètement, la FTDJ a proposé la création d’une agence nationale indépendante qui s’occupera de la distribution de la publicité publique.
Et pour faire passer la pilule, le communiqué, qui a sanctionné cette rencontre, relève que la création d’une telle structure vise à atteindre deux nobles objectifs.
Le premier consiste à offrir “une éventuelle“ égalité des chances aux différents médias en prenant compte de certains critères objectifs dont notamment «le respect de la déontologie journalistique».
Le second serait de faire en sorte que ce nouvel “établissement puisse traiter les différents problèmes et préoccupations des hommes du secteur, notamment les journalistes de la presse imprimée et électronique, tels que les problèmes de distribution et de diffusion“.
Selon le président de la FTDJ, Taïeb Zahar, cette agence sera soutenue par «la création prochaine d’un conseil de la presse» qui aura, entre autres, pour mission de répartir la publicité publique «en fonction de leur conformité à la déontologie journalistique».
Autre avantage réclamé par la FTDJ, la restauration des abonnements des entreprises et administrations publiques. La décision de cette exclusion, prise en 2012, aurait causé la faillite de centaines de journaux tunisiens, étant donné que les revenus financiers des abonnements représentaient près de 60% du financement total de l’entreprise médiatique.
La publicité de l’Etat au service de l’information en tant que bien public
Et pour ne rien oublier, le communiqué a fait état du soutien et de l’adhésion du gouvernement aux propositions de la fédération.
Heureusement, ce gouvernement est sortant et l’appui qu’il vient d’apporter aux thuriféraires de Ben Ali n’engage que lui, et ce pour une simple raison: après le soulèvement du 14 janvier 2011, il est hors de question que ces «stratèges de la désinformation», formatés à l’école du «maquillage» et du «mensonge» reviennent avec les mêmes privilèges et avec les mêmes lignes éditoriales.
Il est inadmissible que ces commerçants de la presse, dont les signes extérieurs de richesse sont criards et pour qui une feuille de publicité vaut mieux qu’un journaliste confirmé, se refassent une nouvelle virginité, avec la complicité soit de ce gouvernement sortant ou du futur.
Est il besoin de rappeler que, jusqu’au 13 janvier 2011, ces directeurs de journaux faisaient l’éloge de Zaba et de son entourage.
Est-il nécessaire de rappeler également que plus de 50% du contenu de leurs publications étaient des publireportages sur les entreprises de l’entourage de Ben Ali.
Soulignons que nous sommes en phase postrévolutionnaire et que la presse qui convient le mieux à cette période est manifestement «une presse newlook», une presse libre, responsable et engagée envers le pays et son développement.
Nous pensons que, dans un souci d’équité et de rattrapage fondé sur la discrimination positive, les seules presses qui doivent être encouragées et bénéficier de la publicité de l’Etat ce sont certains sites électroniques et les médias régionaux. Certains d’entre eux créent de la véritable valeur médiatique, voire respectent l’information comme un bien public et non comme une marchandise à vendre pour s’enrichir, le plus souvent de manière illicite et corrompue.
Cet avertissement vaut aussi bien pour le futur gouvernement, Nidaa Tounes (Ksila et compagnies) que pour les journalistes et autres directeurs de journaux. Car, comme on l’a souligné plus haut, des propriétaires de journaux –papiers et électroniques- ont déjà commencé à faire la courbette. D’ailleurs, on a vu certains journaux se rapprocher d’Ennahdha au cours des trois dernières années, et comme par enchantement, depuis la victoire de Nidaa aux législatives, ils sont devenus proches de celui-ci. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire certains éditos de journaux et magazines des derniers mois.
Nous n’hésiterons pas à les dénoncer mais surtout de les combattre par la plume. Par leur quête de gain facile pour s’enrichir, par leur cupidité… ils avaient causé du tort à la presse tunisienne pendant 23 longues années. Et par leurs écrits, ils ont facilité la dictature de Ben Ali. En quelque sorte, ils ont fabriqué cette dictature. Il n’est pas question de tolérer ces actes. On vous a à l’œil, et vous ne réussirez pas à nous fabriquer une nouvelle chape de plomb sur les libertés fondamentales!
Vous êtes avertis!