La difficile année 2015 de l’autre Espagne encore en crise

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à Vallecas, en banlieue de Madrid, le 3 avril 2013 (Photo : Dominique Faget)

[04/01/2015 13:09:31] Madrid (AFP) Derrière la porte en fer d’un rez-de-chaussée de Vallecas (Espagne), ils sont une trentaine, en cercle, écoutant Veronica annoncer qu’elle sera expulsée en 2015. Ils prennent la parole à tour de rôle et se serrent les coudes face à la crise qui les cerne.

“Je vis dans un logement social depuis deux ans. Je payais 50 euros par mois. C’est passé à 400”, explique Veronica, grande femme pâle aux cheveux châtain de 26 ans, aux participants de cette réunion semblable à celles des Alcooliques Anonymes.

Son 46 m2, à Vallecas, en banlieue de Madrid, a été vendu par la région à une société privée qui a brutalement augmenté le loyer.

Veronica Hidalgo, sans emploi et mère de deux enfants de quatre et huit ans, n’a que 323 euros de revenus mensuels. Faute de pouvoir payer, elle sera expulsée le 18 février.

Trois mille logements sociaux ont ainsi été cédés à Madrid, dont bien des locataires affronteront des difficultés.

La réunion a eu lieu avant les fêtes et Veronica sait qu’elle ne pourra compter pour ses enfants que sur “les cadeaux des églises”, peut-être une aide de sa mère ou du père des enfants, également au chômage.

Des réunions comme celle-la, il s’en tient une fois par semaine dans ce quartier ouvrier de Vallecas à l’initiative de l’association “Stop Desahucios” (Stop Expulsions).

Ses membres ont alerté la presse lorsque, en novembre, une vieille dame de 85 ans, Carmen Martinez Ayuso, a perdu son logement après l’avoir apporté en caution pour que son fils puisse emprunter 40.000 euros.

L’affaire a suscité l’indignation générale en Espagne, et rappelé que, même si la croissance a repris (+1,3% de hausse du PIB attendue pour 2014), beaucoup vivent encore violemment la crise qui a laissé un quart de la population active sans emploi.

“Quand on regarde la télévision, on finit par être en rogne”, témoigne un des bénévoles assistant à la réunion, Antonio Ortiz, 62 ans. “On me raconte une réalité que je ne connais pas. Que l’on sort de la crise. Ca doit être la crise des riches. Parce que pour les gens de base rien n’a changé”, poursuit cet homme frêle mais plein d’entrain.

L’Espagne n’a “que” 23.000 SDF (entre 23 et 40.000 selon les estimations) pour 44 millions d’habitants grâce aux liens familiaux encore forts, “aux pensions des grands-parents et à l’aide des enfants”, assure Antonio.

– Pas de quoi payer un logement –

Comme pour des dizaines de milliers d’Espagnols, le prêt hypothécaire à taux variable de son appartement a grimpé, passant de 500 à 800 euros mensuels. Au même moment, il a perdu son emploi.

C’est grâce à sa belle-mère, partageant sa retraite de 460 euros avec la famille et à sa fille de 31 ans, qu’il a pu garder ce logement: son nouveau job de balayeur, deux jours par semaine, ne couvre pas toutes ses dépenses.

Pour beaucoup d’autres, 2015 s’annonce difficile. “Les gens ont épuisé toute leur épargne et les aides. “Ils n’ont plus de possibilité de négocier avec les banques”, explique Ivan Cisneros de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, association d’aide aux personnes endettées.

“Les gens retrouvent du travail, mais à temps partiel ou précaire, pas de quoi payer un logement”.

Selon l’Institut national des statistiques, les saisies de logements habités ont augmenté de 13,5% au troisième trimestre par rapport à la même période de 2013, s’établissant à 6.787.

Antonio Gonzalez Gordillo, député socialiste de la région de Madrid, spécialiste de l’urbanisme, assure lui que le problème est d’autant plus aigu que le matelas des logements sociaux n’existe pas en Espagne, où l’on vouait jusque-là un culte absolu à la propriété immobilière.

A Madrid, sur 2,6 millions de logements, seulement 1% sont publics ou sociaux contre plus de 30 et 40% dans des villes comme Amsterdam, Berlin ou Vienne, souligne-t-il.

Et pendant ce temps à Vallecas, on garde l’humour, noir s’il le faut.

Ce mercredi de décembre quelqu’un a ramené des dizaines de yaourts à boire, donnés par un supermarché. “Ils sont périmés. S’ils sont un peu acides, vous ne buvez pas”, dit ce membre en provoquant un éclat de rire collectif. Et puis il offre une tournée générale que personne ne refuse. Les yaourts sont pourtant bien périmés, et depuis début octobre.