ête à affronter un tel bouleversement économique (Photo : Adalberto Roque) |
[07/01/2015 10:12:29] La Havane (AFP) A l’heure où Barack Obama envisage de soumettre au Congrès la levée des sanctions économiques contre Cuba, en vigueur depuis plus d’un demi-siècle, plusieurs experts avertissent que l’île communiste n’est pas prête à affronter un tel bouleversement économique.
Décrété en février 1962 par le président John F. Kennedy et sévèrement renforcé par la loi Helms-Burton de 1996, l?embargo total sur les transactions économiques et financières avec Cuba est régulièrement dénoncé par La Havane comme un obstacle au développement de l’île, avec des dommages estimés à plus de 100 milliards de dollars.
Pour nombre d’opposants et d’observateurs, ces sanctions ont certes pénalisé l’île, mais elle ont aussi permis au régime communiste de justifier ses propres erreurs de gestion. Bientôt, “le gouvernement cubain n’aura plus cette grande excuse de l’embargo américain pour expliquer ses problèmes”, souligne à l’AFP Patricio Navia, de l’Université de New York.
La fin des sanctions permettrait à coup sûr une injection de capitaux américains dans l’île, ainsi que l’apparition de nouveaux produits sur un marché aujourd’hui très éloigné des standards de la société de consommation.
Mais la structure économique cubaine, étatisée à 90%, n’est pas armée pour recevoir investisseurs et entreprises internationales, au moment où les réformes annoncées par Raul Castro depuis 2008 tardent à porter leur fruits ou attendent d’être véritablement engagées, relève l’ancien diplomate et universitaire cubain Carlos Alzugaray.
“Heureusement, la levée de l’embargo sera un processus lent et probablement progressif, ce qui permettra aussi une adaptation” à Cuba, ajoute l’expert, appelant à “l’approfondissement et à l’accélération de l’actualisation du modèle économique cubain”, hérité du schéma soviétique et aujourd’hui à bout de souffle.
Car après six années de réformes entreprises par Raul Castro depuis qu’il a succédé à son frère Fidel, la croissance de l’île bat de l’aile (1,3% en 2014) et l’injection d’une dose d’économie de marché est à peine amorcée.
éréales le 5 novembre 2014 à La Havane (Photo : Yamil Lage) |
Le gouvernement encourage désormais le petit commerce privé et a adopté cette année une nouvelle loi sur les investissements étrangers, mais la faiblesse des infrastructures, de l’industrie et le poids de la bureaucratie locale semblent refroidir pour l’heure les candidats à l’injection de capitaux.
En outre, le chantier complexe de la suppression de la double monnaie, annoncé voici plus d’un an, n’a toujours pas été lancé. Et la distorsion monétaire de l’île perdure depuis plus de vingt ans entre la monnaie nationale (CUP) et le peso convertible (CUC, équivalent au dollar).
– Des débouchés limités –
Annoncée dans le cadre du dégel annoncé le 17 décembre entre Washington et La Havane, la levée de l’embargo sera soumise au bon vouloir du Congrès, aujourd’hui dominé par une opposition républicaine résolument opposée à une telle mesure. Ce qui promet un débat de longue haleine devant les deux chambres.
La fin de l’embargo aurait pour vertu de faire de Cuba un partenaire “fréquentable” pour nombre de pays et acteurs économiques qui commercent avec les Etats-Unis et pour lesquels les menaces d’amendes seraient levées.
En outre, des débouchés américains se débloqueraient pour les produits cubains, mais les promesses d’exportations paraissent aujourd’hui assez limitées.
ésident cubain Raul Castro au Parlement, à La Havane, le 20 décembre 2014 (Photo : Adalberto Roque ) |
Jérôme Cottin-Bizonne, directeur général de la compagnie franco-cubaine Havana Club International (joint-venture entre le groupe Pernod-Ricard et l’Etat cubain), qui commercialise le fameux rhum éponyme, a récemment annoncé que son entreprise était “prête à conquérir le marché américain”, qui présente selon lui de séduisantes perspectives.
Mais aujourd’hui, le breuvage alcoolisé et les célèbres cigares sont les seuls produits cubains à véritablement détenir un potentiel de séduction pour le marché du voisin du nord. Une goutte d’eau si l’on considère que ces produits n’apportent au pays que 600 millions de dollars annuels, soit moins de 4% du total des exportations cubaines (17,5 milliards de dollars).
L’exportation de services professionnels, premier poste des exportations cubaines (11 milliards annuels), n’est pas vouée à conquérir les Etats-Unis, déjà suffisamment pourvus, et les médicaments (900 millions de dollars annuels en exportations) devraient de leur côté rencontrer des difficultés de certification aux normes américaines, comme c’est le cas avec l’Europe.
En outre, cette ouverture pourrait poser des complications inattendues pour les Cubains, comme de nouvelles contraintes sur le paiement de droits des produits informatiques et oeuvres culturelles, dont le piratage est aujourd’hui justifié par l’embargo.
Pour Esteban Morales, spécialiste des relations Cuba-Etats-Unis, il n’est pas souhaitable aujourd’hui de “demander le report de la levée de l’embargo parce que nous ne sommes pas préparés”. L’île devra selon lui s’adapter à la levée des sanctions comme elle s’était adaptée à l’embargo.