êcheurs de Bodo, une communauté touchée par deux importantes fuites de pétrole en 2008 (Photo : Carl Court) |
[07/01/2015 12:46:52] Londres (AFP) Shell va verser 70 millions d’euros aux pêcheurs de Bodo, une communauté nigériane touchée par deux importantes fuites de pétrole en 2008, au terme d’une bataille juridique de trois ans qui a mis en lumière l’inquiétante pollution du delta du Niger.
La filiale au Nigeria du groupe pétrolier anglo-néerlandais va verser l’équivalent de 2.800 euros à chacun des 15.600 villageois concernés par l’accord, plus environ 25,5 millions d’euros au bénéfice de l’ensemble de la communauté Bodo, qui regroupe des villages vivant essentiellement de la pêche.
La pollution avait eu lieu fin 2008 dans la région du delta du Niger, au sud du Nigeria, en raison de deux fuites sur un pipeline mal entretenu.
Sous la pression d’ONG comme Amnesty International, Shell avait reconnu en novembre dernier que la fuite avait été plus importante que les 4.000 barils estimés initialement. Mais l’entreprise n’avait pas fourni de nouvelle estimation sur l’ampleur du désastre, alors que les plaignants évoquaient pour leur part une fuite considérable de 500.000 à 600.000 barils.
Faute d’accord jusqu’à présent sur le montant des dédommagements, l’affaire devait faire l’objet d’un procès à Londres cette année.
Le géant pétrolier, numéro un du secteur au Nigeria, avait initialement proposé seulement un peu plus de 5.000 euros pour dédommager l’ensemble de la communauté Bodo, et dénoncé ensuite des demandes de compensation exagérées.
Les villageois se sont cependant assurés les services du cabinet londonien Leigh Day, spécialiste des recours collectifs, et porté plainte au Royaume-Uni, où la multinationale a son siège social.
“Nous avons toujours voulu dédommager la communauté équitablement et nous sommes ravis d’avoir trouvé un accord”, a déclaré mercredi Mutiu Sunmonu, directeur général de Shell Petroleum Development Company of Nigeria (SPDC), la filiale locale du groupe.
“Nous sommes enchantés pour nos clients et heureux de la bonne décision prise par Shell mais je dois dire qu’il est très décevant d’avoir dû attendre six ans pour que Shell prenne cette affaire au sérieux et reconnaisse la vraie nature des dégâts causés par ces fuites sur l’environnement et ceux qui en dépendent pour vivre”, a réagi Martyn Day, avocat des plaignants.
Le même avocat avait conduit l’an dernier la bataille juridique qui s’est soldée par l’indemnisation de plusieurs milliers de Kényans, une soixantaine d’années après la répression sanglante de l’insurrection des Mau Mau, une page particulièrement sombre de l’histoire coloniale britannique.
Une pollution chronique dans le delta du Niger
Le groupe pétrolier doit par ailleurs entamer le nettoyage de la région sous la supervision d’un ancien ambassadeur des Pays-Bas au Nigeria.
“Cela pourrait prendre au moins 10 ans pour restaurer les choses”, estime Ako Amadi, un militant écologiste nigérian. “Je voudrais savoir comment ça s’est passé et si cela ne va pas de reproduire”, a-t-il ajouté.
Au-delà de cette affaire, la région est en fait chroniquement touchée par la pollution depuis des décennies.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) avait estimé dans un rapport publié en 2011 que l’exploitation des hydrocarbures depuis la fin des années 50 avait conduit à une souillure par le pétrole généralisée dans la région du delta du Niger avec un “grave” impact sur l’environnement.
Le chantier de nettoyage prendrait entre 25 à 30 ans et nécessiterait un financement initial d’un milliard de dollars en plus de mesures d’urgences, selon le PNUE.
Amnesty International estime que des centaines de fuites continuent d’avoir lieu chaque année en raison de la corrosion des pipelines, du mauvais entretien des infrastructures par les compagnies pétrolières comme Shell ou l’italien Eni mais aussi du sabotage et du vol de pétrole.
“Shell et les autres opérateurs vont devoir désormais être très prudents, sachant qu’il peuvent être tenus responsables”, espère Stvyn Obodoekwe, responsable d’une ONG environnementale locale. “D’autres procédures pourraient être engagées en temps utile parce que les gens se sont rendus compte qu’il y avait de l’espoir”, conclut-il.