Avant même de poser ses bagages au palais de Carthage, le nouveau président de la République, Béji Caïd Essebsi, (BCE) commence à renier ses engagements électoraux au grand dam d’un précieux électorat qui a cru fort en lui et voté utile en sa faveur.
Concrètement, le nouveau locataire de Carthage, le 5ème président depuis l’accès de la Tunisie à l’indépendance, n’a pas tenu au moins trois promesses.
La première concerne sa résidence. Interrogé, lors de la campagne électorale sur sa future demeure, l’ancien candidat à la magistrature suprême avait déclaré qu’au cas où il remporterait les élections, il ne déménagerait pas et continuerait à habiter dans son logement habituel.
Elu président, BCE fait volte-face et décide en fin de compte de s’installer au palais de Carthage. D’après le journal “Le Maghreb”, «BCE est convaincu que rester à son domicile à La Soukra est peu pratique au niveau sécuritaire. Ce dernier craint de déranger ses voisins et d’être confronté aux embouteillages aux heures de pointe».
Néanmoins, BCE, alors candidat, aurait dû penser aux aléas de sa première décision qui avait énormément plu aux Tunisiens, compte tenu des multiples abus qui ont eu lieu antérieurement dans ce palais. Malheureusement, BCE a décidé le contraire et choisi le palais de Carthage qui serait, selon certaines mauvaises langues, voué à la damnation éternelle.
BCE flirte avec Ennahdha et oublie son projet de société
La seconde promesse non tenue concerne le projet de société pour lequel il a été élu, celui-là même qui consiste à édifier une société moderniste, tolérante et ouverte sur l’extérieur. Un projet de société radicalement opposé au projet rétrograde et déstructurant du candidat d’Ennahdha, en l’occurrence, Marzouki.
Seulement, une fois mandaté président de la République, BCE semble tourner le dos à ce projet. En témoigne son rapprochement, spectaculaire, avec le gourou Ghannouchi et compagnie au point de solliciter son aval pour la nomination du nouveau chef du gouvernement, Habib Essid.
Lotfi Zitoun, conseiller politique du mouvement Ennahdha, a été très clair à ce sujet. Il a déclaré en substance que la désignation de Habib Essid est le fruit du consensus et du rapprochement entre le nouveau président de la République, Béji Caïd Essebsi, et le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi. BCE semble percevoir dans le groupe parlementaire nahdhaoui un éventuel soutien inestimable pour mener sans heurts sa future politique.
Les nahdhaouis, qui ont échoué lamentablement au pouvoir, trois ans durant, ont bien accueilli cette perche de salut. Eux, les perdants qui devaient, en principe aux termes du scrutin, apprendre à s’aguerrir dans l’opposition et à se forger un nouveau dessein politique adapté aux exigences de l’époque.
Certains d’entre eux ont retrouvé le poil de la bête et leur arrogance. Ils commencent à envahir les plateaux audiovisuels. Ainsi, on ne sait par quel miracle et par quelle baguette magique, Rached Ghannouchi est devenu, du jour au lendemain, le champion du nationalisme. Il ne jure que par l’unité nationale et l’union sacrée face au terrorisme, appelant à apporter une aide significative au mandat de BCE.
Nidaa Tounès, «nouvel allié» d’Ennahdha?
Dans un entretien avec le journal «Achourrok», Lotfi Zitioun, qui observait jusque-là un profil très bas, est sorti de son silence et est allé jusqu’à qualifier Nidaa Tounès de «nouvel allié» d’Ennahdha. Il a ajouté que cette alliance est le produit des urnes soutenant qu’elle doit se hisser au niveau des attentes et de la confiance des électeurs.
Conséquence: une nouvelle Troïka pointe à l’horizon et la fameuse phrase de BCE «Nidaa Tounès et Ennahdha sont deux lignes parallèles qui ne se rencontrent jamais» est du coup oubliée.
BCE: «Nidaa Tounès, c’est moi et moi je suis Nidaa Tounès»
Le troisième engagement non honoré par BCE est d’ordre moral. Il n’a pas été respectueux des députés de son parti et des intellectuels qui l’ont soutenu. Ses premières décisions donnent l’impression qu’il les traite comme des moutons de panurge. Parmi ces décisions figure celle de la désignation, sans leur concertation, de Habib Essid au poste de chef de gouvernement. Pis, cette nomination a été décidée en partenariat avec leur adversaire, Rached Ghannouchi. Cette indélicatesse vis-à-vis de ses troupes risque de lui coûter cher ultérieurement. Déjà, de poids lourds comme les dynamiques universitaires Olfa Ben Youssef et Raja Ben Slama, ont décidé de démissionner de Nidaa Tounès.
C’est pour dire que BCE se comporte avec Nidaa Tounès comme si c’était sa propriété privée. Héritier spirituel de Bourguiba qui avait dit un jour «la Tunisie c’est moi et moi je suis la Tunisie», BCE semble s’en s’inspirer et donner à voir que «Nidaa Tounès c’est lui, et lui c’est Nidaa Tounès».
Tout porte à croire que cette mégalomanie anachronique sera une des grandes faiblesses du mandat de BCE.
Francis Fukuyama, intellectuel américain (d’origine asiatique), classé à droite et spécialiste de «sociétologie», avait raison quand il avait mis en doute la capacité des politiciens de mener à terme le processus démocratique dans les pays du printemps arabe. Pour mémoire, il avait réagi en ces termes aux changements qui ont eu lieu dans le monde arabe: «Le printemps arabe? Eh bien, avant tout, je suis véritablement ravi que ce soit arrivé, parce que la démocratie ne peut advenir sans mobilisation populaire. Tout le monde pensait, en un sens, que les Arabes en étaient incapables. Ils ont montré qu’ils pouvaient le faire.
Mais je crois que créer des institutions demande du temps et que, pour l’heure, les gens les plus ouverts sur l’extérieur, les plus démocrates, tolérants et libéraux, sont très mal organisés. Ils n’ont aucune expérience. La société civile avait été réduite à néant, si bien que tout ce qui soutient des institutions démocratiques solides fait défaut».
Moralité: les Tunisiens doivent encore prendre leur peine en patience et laisser le temps au temps. Les raccourcis sont hélas interdits…