Le chef du gouvernement doit s’affirmer face au président de la République. Il est le candidat du camp patriotique qui a fait la différence en invoquant le sens de l’Etat. Habib Essid doit se prononcer sur le rôle de l’Etat dans la deuxième République. Ce sera moins ou mieux d’Etat? Le bon peuple et les milieux d’affaires ont besoin de savoir. Il faut bien se dire que nous inaugurons l’ère de la redevabilité. Le gouvernement doit rendre des comptes. Et pour cela, il doit au préalable s’engager sur la portée de son programme de réformes. Ce sera son test probatoire devant l’opinion publique.
Décryptage
Habib Essid sait déjà que sa nomination ne fait pas l’unanimité dans le cercle des partenaires de Nidaa Tounes, du reste même au sein du parti. La raison est connue. La manière a manqué, disent-ils. N’ayant pas été consultés pour le choix du candidat, ils considèrent que Nidaa leur a fait un bébé dans le dos en s’entendant par-dessus leur épaule avec Ennahdha. Qu’importe, ils pardonnent, jouant aux grands seigneurs et avalant la pilule dorée de Nidaa. Après tout, ce dernier a préféré fâcher les siens et faire appel à un indépendant.
Mais il faut savoir que les partenaires sont désormais toutes griffes dehors. Ils ont bien accordé le préjugé favorable à Habib Essid afin de préserver la cohésion de leur socle parlementaire commun. Toutefois, ils l’ont à l’œil. Et, ce dernier est engagé dans une course d’obstacles et sait que ses partenaires l’attendent au tournant. Ils rongent leur frein dans l’attente de découvrir quelle architecture du gouvernement et quel mode de gouvernance il va leur proposer. Et par-dessus tout, que sera le profil pour l’intervention de l’Etat dans le champ public et celui de l’économie.
C’est au vu du rôle qui sera dévolu à l’Etat que Habib Essid pourra rassurer ses partenaires et l’opinion publique sur la portée des réformes à entreprendre. Les opérateurs auront une visibilité de long terme indispensable pour apaiser le climat des affaires.
Nous ajouterons que la conception du rôle de l’Etat sera le test probatoire pour Habib Essid. C’est à cette occasion qu’il pourra dessiner son territoire de compétence face au chef de l’Etat.
L’homme du compromis
En confirmant Habib Essid à son poste, BCE a préféré bétonner son jeu. La sécurité plutôt que l’aventurisme en politique. C’est la lucidité qui le veut autant que la realpolitik. Le président sait que rien n’est encore joué car les avances de Nidaa Tounes dans les deux scrutins passés ne sont rien s’il ne les confirme par une autre victoire dans les scrutins à venir et notamment les municipales. Et c’est bien cette perspective qui donne au nouveau chef du gouvernement ce profil de l’homme du compromis historique.
Il sait d’entrée de jeu combien le soutien d’Ennahdha au sein de l’Assemblée est précieux pour éviter le climat des blocages parlementaires qui pourraient ralentir son action et, par conséquent, compromettre la marche globale du pays et l’issue des municipales, essentiellement.
A priori, Ennahdha laisse comprendre qu’elle ne fera pas de la résistance systématique. Qu’en sera-t-il des partis de la coalition agglomérée autour de BCE au second tour de la présidentielle. Ils sont l’otage de leur engagement antérieur. Par conséquent, l’affaire est bien ficelée au plan politique et on y retrouve l’empreinte du président. Mais la moisson économique revient à Habib Essid et c’est lui qui aura à rentrer la récolte. Pour cela autant le bon peuple que les milieux d’affaires et l’ensemble des opérateurs veulent voir les lignes de la planification pour l’avenir.
Activer le principe de la redevabilité
En pratique démocratique, il existe les primaires pour auditionner les candidats. De la sorte, l’opinion sait de quoi sera fait demain. Nous n’avons pas encore un tel mécanisme en Tunisie, et c’est frustrant. On a trouvé un substitut à cela, à savoir la feuille de route qui a servi d’agenda au gouvernement Jomaa. Il se trouve qu’on a omis de préciser que Mehdi Jomaa est obligé de présenter son bilan avant de toucher son quitus. Une partie du travail a été réalisée. Les élections ont bien eu lieu dans les conditions que l’on connaît. Mais quid de la révision des nominations partisanes? Pareil pour le programme des réformes ou la récupération des mosquées ainsi que du maintien ou non d’un ministère des Affaires religieuse.
On ne doit pas tomber dans le même travers avec Habib Essid. Les Tunisiens ont besoin de savoir ce que sera la qualité de l’enseignement dans l’école publique, ce que sera la qualité des soins dans l’hôpital public. Idem pour le secteur productif public. Est-ce qu’on va vers sa privatisation ou son assainissement et son maintien. Qu’en sera-t-il du PPP? Servira-t-il de levier de croissance. Tout doit être mis à plate couture.
Le nouveau chef du gouvernement doit s’expliquer avant son discours de politique générale car on a besoin de juger si l’architecture du nouveau gouvernement est en phase avec sa vision globale et son plan d’action. Si Habib Essid veut construire un crédit politique propre, il doit pouvoir se prononcer sur cet ensemble de questions. On aimerait le voir se positionner dans le système, quitte à reprendre à son compte la formule de Laurent Fabius lequel, en parlant de Mitterrand, disait “Lui c’est lui et moi, c’est moi“.
Mais alors comment articuler les deux institutions de la présidence et du gouvernement?
La relation entre les deux présidences : Sur le mode conseil de Surveillance-Directoire
BCE jouera en Kaiser sur le registre politique. Il ne manquera pas de remplir sa place et de défendre ses prérogatives. Quelle place à Habib Essid dans l’articulation entre les deux présidences. Ce serait bien si ce tandem fonctionnait sur le mode managérial. La présidence serait le Conseil de surveillance, et La Kasbah formerait le directoire. Tous deux doivent garder à l’esprit qu’ils sont en train de mettre le char de la deuxième République sur rail, et il ne faudrait pas qu’il quitte la voie. Il ne faut pas oublier que pendant la campagne électorale, on parlait des deux droites pour désigner Nidaa et Ennahdha -qu’on présente à tort comme des partis libéraux.
Nous parlerons dans un autre papier du programme d’Ennahdha, mais celui de Nidaa se démarque de l’école libérale. Nidaa ne se présente pas comme un parti libéral. Il est favorable à un Etat mixte pour une économie sociale de marché qui favorise la libre initiative. Il faudrait que Habib Essid parvienne à dissiper le malaise qui naît dans l’opinion du fait que l’on irait vers un Etat libéral qui sacrifierait le secteur public.
En clair, son action ne doit pas se limiter à un travail de synthèse des programmes des partis politiques qui le soutiennent mais aller vers une perspective de plus long terme avec une vision du rôle de l’Etat qui soit en rupture avec tout ce qui se faisait auparavant. Un Etat qui progresse de l’égalité des droits vers l’égalité des chances pour tous.
Essid a la Baraka: la météo, l’euro et le brut ont voté pour lui
La vie a souri à Habib Essid. Il arrive dans un contexte plutôt favorable. La météo a été clémente et la saison agricole s’annonce sous de meilleurs auspices que la saison dernière. L’euro fléchit, ce qui nous donne un certain répit. Notre balance des paiements en serait soulagée. Le cours du brut fléchit presque de moitié par rapport aux prévisions budgétaires. Le cours de référence retenu est de 95 dollars alors que le marché traite à 50 dollars environ. Il faut mettre plein gaz et entamer les réformes les plus audacieuses puisque le contexte s’y prête bien. En aura-t-il l’audace?