En Meuse, Essilor à la pointe des verres pour grands malvoyants

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à Ligny-en-Barrois (Meuse), le 19 janvier 2015 (Photo : Jean-Christophe Verhaegen)

[19/01/2015 17:08:33] Ligny-en-Barrois (France) (AFP) Au fin fond de la Meuse, dans sa plus vieille usine historique, le géant mondial du verre ophtalmique Essilor développe des verres spéciaux pour grands malvoyants, un marché de niche mais riche en innovations, entre métier d’artisan-verrier et technologies de pointe.

Les apparences de l’usine Essilor des Battants à Ligny-en-Barrois, fondée en 1867, sont trompeuses: derrière sa façade désuète et les antiques initiales “SL”, du nom de l’une des deux sociétés de lunetiers à l’origine du groupe français, le site abrite un laboratoire unique au monde.

“C’est le seul site du groupe qui permet de fabriquer des verres avec des corrections extrêmes, c’est-à-dire à partir d’une dioptrie de -14 pour la myopie et +8 pour l’hypermétropie”, explique Marc Stéphan, le directeur de l’usine, qui héberge l’unité “SL Lab” et ses 91 employés dédiés aux verres spéciaux.

Les troubles de la vision (amétropies) hors normes, tantôt dus à une malformation congénitale, tantôt à un traumatisme oculaire, affectent environ une personne sur 1.000, soit 60.000 en France. Le SL Lab produit 120 verres par jour adaptés à ces pathologies.

C’est microscopique par rapport aux 4,3 milliards d’humains nécessitant une correction visuelle et aux 430 millions de verres classiques produits par Essilor chaque année dans le monde.

Et “ce n’est pas une aubaine en termes de rentabilité”, reconnaît le directeur général d’Essilor France, Ludovic Mathieu. Car certains verres spéciaux nécessitent jusqu’à 10 à 15 jours de fabrication, avec des machines modifiées et des ouvriers spécialisés formés pendant 2 à 3 ans.

Après réception des commandes, le laboratoire calcule les énormes corrections à réaliser. Vient ensuite le moulage des verres, aux billes convexes ou concaves au centre, le polissage des faces, le collage, les contrôles…

Mais “ce que l’on apprend en fabriquant des verres spéciaux irrigue toute l’innovation du groupe” estime M. Mathieu. “Plus on sait faire des choses complexes, mieux on sait faire des choses simples”.

Et sans ces produits atypiques, “ce savoir-faire pourrait se perdre”, souligne-t-il.

Car les autres grands groupes de fabricants de verres ophtalmiques, comme l’allemand Zeiss ou le japonais Hoya, se concentrent davantage sur les corrections classiques. “Il n’y a plus beaucoup d’entreprises dans l’optique capables de faire des verres à la main” confirme Gilles Renard, directeur scientifique de la Société française d’ophtalmologie (SFO) à Paris.

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à Ligny-en-Barrois (Meuse) (Photo : Jean-Christophe Verhaegen)

Pourtant ces verres spéciaux sont “indispensables” car certaines situations sont “impossibles à corriger autrement”, des lentilles de contact hors normes pouvant ne pas être supportées par l??il et la chirurgie laser actuelle ne traitant que de petites amétropies, selon M. Renard.

– Adieu les ‘culs de bouteille’ –

En décembre les équipes du SL Lab ont battu un nouveau record mondial de correction visuelle, en taillant des verres d’une dioptrie de -104 pour un client slovaque. Le précédent record, également détenu par Essilor, était de -76.

Quasi aveugle jusqu’alors, “cette personne nous a raconté qu’elle peut désormais lire ses mails et a plus d’assurance quand elle descend les escaliers”, se félicite Stanislas Poussin, responsable de l’activité verres spéciaux d’Essilor.

Le SL Lab s’emploie aussi à améliorer l’esthétique de ces verres hors du commun, pour en finir avec les “culs de bouteille”, ces verres très épais et “marqueurs de handicap” selon M. Poussin.

Les verres spéciaux sont ainsi de plus en plus fins et, grâce aux matériaux organiques, plus légers. Début janvier le SL Lab est même parvenu à “gommer” les lignes des facettes sur ses verres spéciaux, pour un meilleur résultat esthétique.

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usine Essilor de Ligny-en-Barrois (Meuse), le 19 janvier 2015 (Photo : Jean-Christophe Verhaegen)

Essilor vise à déployer dans le monde entier ses verres spéciaux, jusqu’à présent vendus sur le marché français et européen. L’objectif est de doubler la production d’ici 2017, avec une part de 60% à l’export, contre 25% actuellement.

Le groupe s’intéresse aussi au potentiel des lunettes dites “à réalité augmentée”, sorte de version médicale des Google Glass, dotées d’une mini-caméra dont les signaux sont projetés sur la rétine. Une poignée de grands malvoyants en France testent actuellement des prototypes conçus en partenariat avec un consortium d’entreprises.