Trois ans d’efforts de Mario Draghi pour sauver l’euro

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ésident de la BCE, à Francfort le 6 novembre 2014 (Photo : Daniel Roland)

[20/01/2015 09:34:05] Berlin (AFP) “Si tu perds courage, alors tu as tout perdu”, lui disait son père. Du courage, Mario Draghi n’en a pas manqué, et la nouvelle offensive monétaire de la BCE annoncée jeudi marquera l’aboutissement de trois ans d’efforts pour sauver l’euro.

La décision attendue de rachats massifs de dette par la Banque centrale européenne (BCE) consacrera aussi la victoire du “style Draghi” cultivé par le président italien de l’institution, mélange d’audace et de communication extrêmement maîtrisées qui lui ont permis de vaincre les réticences, surtout allemandes.

La première pierre est posée à Londres en août 2012. Les taux des dettes souveraines en zone euro s’envolent, et devant un parterre d’investisseurs convaincus d’une implosion imminente de la zone euro, l’Italien improvise le désormais fameux “whatever it takes”. Il dit être “prêt à tout” pour sauver la monnaie unique.

“Rarement quelques mots auront changé autant les choses”, estime aujourd’hui Holger Schmieding, chef économiste chez Berenberg.

La zone euro prenait le chemin de la récession. “Après ces propos, la confiance est revenue rapidement. Trois trimestres plus tard, la zone euro renouait avec une petite croissance”, rappelle cet analyste.

M. Draghi, qui avait succédé depuis quelques mois au Français Jean-Claude Trichet à la tête de l’institution, avait de l’avis général sauvé l’euro.

Et pour beaucoup d’observateurs le style Draghi était né: une communication très habile, qui distille les bons messages au bon moment, alliée à un indéniable courage, cette vertu capitale que lui louait son père, décédé quand il avait 15 ans, explique-t-il dans un entretien publié la semaine dernière en Allemagne.

– Approche gaullienne –

“Il n’a pas hésité à choquer et à tirer en avant son conseil des gouverneurs”, juge Gilles Moëc, chef économiste Europe chez Bank of America-Merrill Lynch. “C’est une approche presque gaullienne de la politique monétaire”.

Le conseil des gouverneurs, qui prend les décisions de politique monétaire, regroupe le directoire de la BCE et les chefs des banques centrales nationales, entre autres, le patron de la très orthodoxe Bundesbank allemande.

Pour celle-ci -comme pour beaucoup d’Allemands- la politique monétaire n’a pas à corriger les manquements des gouvernements de la zone euro qui ont laissé filé les déficits et traîné les pieds sur les réformes structurelles.

Début 2011, le gouverneur de la Bundesbank, Axel Weber, dont le nom circule pour succéder à M. Trichet, rend son tablier. La BCE s’est engagée depuis 2010 dans des rachats ciblés de dette souveraine des pays en crise, et l’Allemand y est opposé. Son successeur Jens Weidmann sera-t-il plus souple sur la question ?

M. Draghi, arrivé à la BCE fin 2011 avec le soutien de la chancelière allemande Angela Merkel et du président français Nicolas Sarkozy, commence un long travail de persuasion. Sa capacité à charmer son auditoire et à mettre dans sa poche ses interlocuteurs est une de ses principales qualités, selon une source proche de la BCE interrogée par l’AFP.

Juste après son “Whatever it takes”, il annonce un nouveau programme de rachat d’actifs, l’OMT.

Pour M. Weidmann ce programme – jamais utilisé à ce jour – est assimilable à “un financement des Etats par la planche à billets” qui risque de faire l’effet d’une “drogue” sur les gouvernements.

– Révolution –

Alors que l’économie bat de l’aile et que l’inflation flanche, ailleurs les pressions sont de plus en plus fortes. Paris réclame à la BCE plus d’activisme, le FMI aussi. Dans toutes les têtes, un programme d'”assouplissement quantitatif” à l’américaine ou à la japonaise.

Face au risque croissant de déflation, M. Draghi réussit un tour de force en juin 2014: la BCE amène un de ses taux de référence en territoire négatif, une révolution pour une grande banque centrale. En tout, depuis 2012, l’institution a abaissé six fois son taux directeur.

Nouveau coup de théâtre en août, lors d’un sommet de grands banquiers centraux à Jackson Hole aux Etats-Unis. Déviant du texte de son discours, M. Draghi s’alarme d’un décrochage des prévisions d’inflation: il prépare les esprits à une nouvelle action d’envergure.

Certains gouverneurs, toujours emmenés par l’Allemagne, contestent à la fois le diagnostic et les remèdes, ces mesures “non-conventionnelles” que la BCE adopte l’une après l’autre.

Octobre 2014, après des prêts géants mis à disposition des banques, l’institution monétaire annonce l’achat d’ABS (achat de titres adossés à des actifs), une de ses mesures phares pour fluidifier le crédit. Mais la France a voté contre ! Le gouverneur français Christian Noyer serait-il en train de lâcher Mario Draghi ? Non. la rebuffade s’avère en fait purement technique.

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ège de la BCE à Francfort le 2 décembre 2014 (Photo : Daniel Roland)

La presse bruisse de rumeurs évoquant une fronde au sein du conseil contre Mario Draghi, dont la communication serait jugée trop personnelle et trop aventuriste. Isolé, poussé vers la sortie, l’Italien serait prêt à quitter la BCE pour prendre la présidence de la République italienne, affirment certains journaux.

Les relations avec M. Weidmann deviennent supposément glaciales.

Mais face à une l’inflation qui continue de baisser, c’est finalement l’Allemand qui est de plus de plus isolé. Et Mario Draghi s’assure le soutien allemand un cran au-dessus: la semaine dernière il a rencontré à Berlin la chancelière Angela Merkel, prétendument pour lui présenter son projet de rachats d’actifs.

Avec celui-ci, M. Draghi s’apprête à abattre l’une de ses dernières cartes. Faute de mieux, Berlin s’y est résigné, sans vraiment croire à son efficacité.

“La situation à laquelle nous faisons face est un test pour toutes les autorités européenne, y compris la BCE”, rappelait récemment Benoît Coeuré, membre du directoire de l’institution. En premier lieu incontestablement pour son président.