La protection des données personnelles, nouvel eldorado de la Suisse

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écurisation des données sur le salon du CeBIT 2014 à Hanovre en Allemagne. (Photo : John Macdougall)

[23/01/2015 11:37:50] Genève (AFP) “Données 100% stockées en Suisse”. De plus en plus d’entreprises mettent en avant sur leur site ce petit macaron aux couleurs de la Confédération helvétique, qui pourrait faire de la protection des données personnelles une nouvelle source de prospérité.

“Les données sont le nouvel eldorado de la Suisse. C’est un vrai boom”, se réjouit Franz Grüter, directeur général de Green.ch, l’une des principales entreprises suisses spécialisées dans le stockage de données personnelles avec une croissance annuelle de 30%.

Les scandales d’espionnage généralisé suite aux révélations de l’ex-conseiller de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine Edward Snowden ont permis une prise de conscience accrue, notamment du côté des entreprises, sur la nécessité de protéger ses données personnelles. Et la Suisse compte bien en tirer partie.

“Les clients ont besoin de confiance, de discrétion, de fiabilité et de stabilité. Ce sont les caractéristiques de ce pays depuis toujours”, ajoute pour l’AFP M. Grüter, selon qui plus d’un milliard de francs (1 milliard d’euros) ont été investis ces cinq dernières années dans des centres de données informatiques dans le pays.

Avec 61 centres de données sur les 1.151 situés dans l’Union européenne (selon le site datacentermap), la Confédération se classe à la cinquième place européenne.

“Un Etat offrant un niveau de protection élevé à ses entreprises leur offre également des avantages économiques non négligeables”, affirme Jean-Philippe Walter, adjoint au Préposé fédéral à la Protection des données et à la transparence. Selon lui, “la Suisse a tout intérêt à se mettre au-delà du niveau européen en termes de réglementation, pour des raisons économiques”.

– Relocalisation –

Mais trouver des débouchés économiques passe avant tout par un retour de la confiance dans les Etats.

“Il est primordial de restaurer cette confiance des droits fondamentaux à la vie privée dans nos sociétés démocratiques”, il est “donc nécessaire de savoir ce que deviennent nos données”, prévient M. Walter.

Le contexte juridique est ainsi très favorable en Suisse: la loi sur la protection des données, l’une des plus restrictives au monde, empêche toute administration d’avoir accès à des informations personnelles sans l’autorisation d’un juge.

En conséquence, certaines entreprises étrangères n’hésitent pas à se relocaliser en Suisse.

C’est le cas de Multiven, l’un des leaders mondiaux de la maintenance des réseaux internet, qui a quitté la Silicon Valley californienne pour Zurich en 2009. “Nous avions déménagé pour anticiper cet avenir propice en Suisse”, déclare à l’AFP sa présidente, Deka Yussuf.

“Nous prévoyons un avenir dans lequel les individus, les entreprises et les organisations du monde entier chercheront à stocker leurs actifs numériques (propriété intellectuelle, inventions, secrets commerciaux, etc.) en Suisse pour transformer le pays en sanctuaire d’actifs physiques (espèces, or, art) en numériques. Au cours des 25 prochaines années, la majorité des actifs qui seront enregistrés en Suisse seront numériques”, ajoute-t-elle.

– Cadre légal protecteur –

D’autres, à l’instar de ProntonMail, qui développe un système d’e-mail chiffré et sécurisé, et qui compte déjà “plus de 300.000 utilisateurs à travers le monde” s’y est également implanté en raison de son cadre légal très protecteur.

“La culture du respect de la vie privée y est très important. Les récentes observations faites par le Premier ministre britannique David Cameron et le président Barack Obama souhaitant interdire le chiffrement, inaccessible pour leur gouvernement, seraient impensables en Suisse”, prévient son directeur, Andy Yen.

Courant 2015, c’est l’opérateur helvète de télécoms Sunrise qui rapatriera ses services dans le pays et ne travaillera en conséquence plus avec le géant américain Google auprès de qui il externalisait la gestion de sa messagerie.

Cependant, “il faut admettre que dans nos sociétés actuelles, la protection totale et absolue est impossible”, rappelle Jean-Henry Morin, professeur de système d’informations à l’université de Genève, faisant référence à la récente attaque informatique qui s’est soldée par le vol de données personnelles de 47.000 employés de Sony.

“La Suisse a néanmoins un historique de sensibilité par rapport à la gestion patrimoniale qui aurait pu permettre plus de protection” si l’entreprise américaine y avait installé ses serveurs, estime-t-il.

Il garde espoir que la Suisse devienne un centre mondial des données mais considère qu’elle “aurait dû se réveiller il y a 10 ans”.

La Suisse pourrait cependant “tirer son épingle du jeu” en suivant de près la réforme du régime européen de protection des données personnelles, qui devrait voir le jour d’ici quelques semaines. Ce nouveau cadre renforcerait la législation sur le traitement des données personnelles des citoyens européens par les entreprises et ce, indépendamment de leur localisation géographique et de leur taille.

Selon lui, le pays ne devra pas rater “la déferlante” qui suivra avec la problématique du stockage des données qui deviendra alors centrale en Europe.